Mollah Omar, le mystique mystère
Portrait
L’ex-numéro 1 afghan est le leader charismatique et religieux des talibans plutôt qu’un stratège de terrain.
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Par PHILIPPE GRANGEREAU
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Personne ne connaît le rire du mystérieux mollah Mohammad Omar, le leader taliban renversé fin 2001 par l’invasion américaine de l’Afghanistan, qui s’est depuis replié au Pakistan voisin. Il résonne pourtant de manière tonitruante aux oreilles des Américains et des Occidentaux enlisés dans ce pays fossoyeur d’empires. «La cible primordiale pour les Etats-Unis est le mollah Omar… C’est sous sa férule que les talibans ont rebondi de leur défaite presque totale en 2001 et se retrouvent aujourd’hui en position de menacer la survie de l’opération de l’Otan en Afghanistan et, au-delà, l’avenir même de l’Alliance», juge Bruce Riedel, un expert de l’institut Brookings, basé à Washington.
Le mollah borgne, qui se fait appeler «commandeur des croyants», serait le personnage clé de l’insurrection islamiste. Leader incontesté des talibans afghans, il est aussi l’autorité suprême des talibans pakistanais qui lui ont prêté allégeance. Le réseau Al-Qaeda d’Oussama ben Laden s’est lui aussi «placé sous son autorité» à en croire le théoricien islamiste Wahid Mojda, interrogé en août à Kaboul par Libération.
Autoproclamé. Affirmant que le vent de l’histoire soufflait avec lui, le mollah Omar, habituellement avare de mots, s’en est pris voilà quelques mois au président américain :«L’Emirat islamique d’Afghanistan [nom du pays sous le régime taliban, entre 1996 et 2001, ndlr] appelle les Occidentaux à ne pas se laisser avoir par les affirmations d’Obama, qui assure que la guerre en Afghanistan est une guerre nécessaire. L’Occident n’a pas à mener cette guerre», lançait dans un communiqué le mollah autoproclamé - dont l’un des fils, âgé de 10 ans, a été tué par des bombes américaines en 2001. «Les envahisseurs devraient étudier l’histoire de l’Afghanistan, notamment ce qui est arrivé à l’agresseur Alexandre le Grand», a-t-il encore averti.
Agé de 52 ans, le mollah pachtoune au turban noir, dont on sait peu de choses et duquel il n’existe que trois clichés, serait davantage un stratège mystique se réclamant d’Allah au détour de chaque phrase, qu’un tacticien donnant des ordres au plus près du champ de bataille.«C’est bien à lui que reviennent les derniers succès du mouvement taliban, explique l’analyste pakistanais Khawar Mehdi.Mais ce n’est pas pour autant un vrai stratège. Le mollah Omar est plutôt une figure de proue qui apporte son unité à un mouvement qui en a besoin.»
L’ex-numéro 1 afghan tiendrait son autorité de sa piété et de ses faits d’armes contre l’occupant soviétique. Durant ce conflit (1979-1989), il a été blessé au moins trois fois au combat et a perdu un œil. Il était toutefois totalement inconnu jusqu’en 1994. Révolté par les pillages, les meurtres et les viols perpétrés par les moudjahidin dans un Afghanistan aux prises avec une guerre civile sans fin, il aurait alors réuni une trentaine de combattants pour sauver deux fillettes kidnappées et violées par deux commandants locaux. Son action, applaudie par les étudiants des écoles coraniques (les «talibans» - d’où le nom du mouvement) s’est étendu à toute la province, puis au-delà.
Origines. Avec l’appui massif des services secrets militaires pakistanais et à la tête de tribus pachtounes, il est parvenu à conquérir le pouvoir deux ans plus tard, en 1996, pour y instaurer un régime s’inspirant d’un supposé islam des origines, confinant les femmes derrière le voile intégral et proscrivant images, chants et cerfs-volants. En 2001, quelques semaines avant d’être renversé, le mollah Omar avait accordé une interview à la radio Voice of America, dans laquelle il se moquait de George W. Bush «qui dit qu’il peut nous trouver où que nous nous cachions sur cette terre… nous verrons bien qui a raison». Pour l’instant, il semble avoir le dernier mot.