L'analyse d'Adrien Jaulmes, grand reporter au service Étranger du Figaro.
L'Otan mène en Afghanistan la plus vaste opération de son histoire : 50 000 soldats occidentaux sont déployés dans ce pays. Leur mission est de soutenir le gouvernement afghan pro-occidental en place, pour empêcher que le pays ne redevienne, comme à la fin des années 1990, un havre pour les terroristes internationaux. Mais la tentative d'assassinat à laquelle vient d'échapper, dimanche, le président Hamid Karzaï, en plein Kaboul, rappelle l'inquiétante dégradation de la situation, et l'échec de l'Otan sur le terrain.
L'insurrection afghane n'a cessé de s'étendre depuis 2005. Naguère cantonnée dans les régions reculées de la frontière pakistanaise ou des confins du sud du pays, elle n'a cessé de progresser, pour opérer à présent en plein jour dans les provinces du Sud et de l'Est afghan. Un étranger pouvait encore en 2005 se rendre en voiture de Kaboul à Kandahar. C'est aujourd'hui impossible, les talibans entretenant des points de contrôle en plein jour sur cet axe routier. Les insurgés viennent de prouver qu'ils étaient capables de frapper au cœur de la capitale, au beau milieu d'un défilé organisé par une armée afghane entraînée et équipée à grands frais depuis des années, et sur laquelle l'Otan compte pour retirer progressivement ses troupes.
Sur le théâtre des « opérations », puisqu'il n'existe officiellement pas de guerre en Afghanistan, l'Otan s'est laissé entraîner dans l'engrenage classique des luttes contre-insurrectionnelles du XXe siècle : les généraux sont à chaque fois « sur le point » de gagner la guerre, et réclament plus de troupes et plus de moyens pour l'emporter. Les opérations se succèdent, les communiqués victorieux aussi, mais les insurgés sont toujours là. Comme dans un cercle vicieux, chaque opération s'accompagne de victimes civiles, et rend les troupes étrangères plus impopulaires.
Cet échec n'est pas encore une défaite. Les insurgés ne sont pas capables de tenir durablement les villes, et de larges régions restent encore calmes. Mais l'Otan doit rapidement réviser sa stratégie en Afghanistan, sous peine de voir la situation échapper à tout contrôle. Il importe notamment de définir clairement, comme le recommandent les manuels militaires les plus basiques, à la fois son ennemi et l'objectif à atteindre sur le terrain.
L'ennemi que combattent les troupes de l'Otan est défini de façon large comme les « talibans ». Cette expression recoupe pourtant des groupes très variés. On y trouve des éléments proches d'al-Qaida et lancés dans une lutte à outrance contre l'Occident en général. D'autres combattants sont affiliés aux talibans, reconstitués sur de nouvelles bases mais poursuivant des objectifs politiques spécifiquement afghans. D'autres insurgés sont des seigneurs de la guerre réglant leurs comptes avec le gouvernement, ou bien des trafiquants de drogue dont les activités sont gênées par la présence étrangère. Les confondre revient à les rassembler contre soi plutôt que de les diviser.
L'objectif à atteindre sur le terrain n'est pas plus clair. S'il s'agit d'empêcher le gouvernement Karzaï d'être renversé par les insurgés, il n'est pas certain que les unités régulières déployées en Afghanistan soient les mieux adaptées à cette mission. Des forces spéciales bien entraînées, ne nécessitant pas l'installation de grandes bases permanentes dans le pays, et un rôle réduit de l'aviation, arme à double tranchant contre des adversaires évoluant au milieu de civils, seraient peut-être capables d'arriver au même résultat sans mobiliser d'importants bataillons de l'Otan.
S'il le but des Occidentaux est en revanche d'imposer dans les provinces afghanes des politiques bien intentionnées, mais périlleuses à mettre en œuvre, allant de la libération du statut de la femme à l'éradication de la drogue, il est à craindre que l'affaire afghane ne finisse par réellement mal tourner.
Il n'est pas encore trop tard pour que l'Otan définisse enfin son ennemi, et son objectif pour l'Afghanistan, mais le temps presse.