Afghanistan : le grand jeu indien
Face aux groupes islamistes soutenus par le Pakistan, l’Inde accorde des millions de dollars au gouvernement Karzaï et s’inquiète du dialogue avec les talibans voulu par les États-Unis.
Tout ce qui se passe à Islamabad, Washington ou Kaboul intéresse l’Inde au plus haut point. Le nouveau “dialogue stratégique” entre les États-Unis et le Pakistan, noué la semaine dernière entre la secrétaire d’État Hillary Clinton et son homologue pakistanais Shah Mehmood Qureshi, ne peut que l’inquiéter, autant que le projet d’ouvrir la discussion avec des groupes talibans dans le cadre d’une “paix des braves”. Les Indiens auraient beaucoup à perdre.
Dans leur stratégie de vigilance à l’égard de leur “ennemi héréditaire” pakistanais, ils ont déjà investi près de 1,5 milliard de dollars en Afghanistan : 4000 de leurs coopérants y jouent un rôle majeur dans la reconstruction. Au grand dam, évidemment, des Pakistanais toujours inquiets du risque d’être pris à revers par le géant indien…
Une réelle proximité culturelle et des relations anciennes lient l’Afghanistan et l’Inde. Les Afghans apprécient l’aide de New Delhi, sixième pays donateur, depuis 2001. « L’influence politique et économique de l’Inde en Afghanistan va croissant, entre autres sous forme d’importants efforts sur le plan du développement et de l’investissement financier », écrivait le général Stanley McChrystal, commandant des forces internationales, dans son rapport de septembre 2009.
New Delhi a réparti son aide dans toutes les provinces du pays, dans tous les domaines. La priorité a été donnée aux infrastructures.L’Inde a construit des centrales électriques (dont une qui alimente en partie Kaboul), des réseaux de distribution, des routes, des écoles, des hôpitaux, des infrastructures de télécommunications, des barrages. Les Indiens sont chargés de la construction du nouveau Parlement. Coût des travaux : 178 millions de dollars.
Ces infrastructures peuvent parfois avoir une importance stratégique. L’autoroute Zaranj-Delaram, par exemple, dans le sud-ouest de l’Afghanistan, aétéconstruiteparles Indiens : 218 kilomètres, 150 millions de dollars. Cet axe permet de relier Kaboul via l’Iran,sans passer par le Pakistan.
Misant sur un potentiel très important à moyen terme, l’Inde espère faire de l’Afghanistan un partenaire commercial majeur. Elle souhaite que les Afghans regardent vers elle comme un partenaire spontané. Le pays lui ouvre surtout une porte vers l’Asie centrale et ses ressources en hydrocarbures. Un Afghanistan stable ne peut que profiter au développement économique de la région. Les Indiens sont présents aussi sur le front humanitaire. Ils distribuent des biscuits énergétiques à 1,2 million d’écoliers et ils ont mis en place des consultations dans des hôpitaux.
L’une des priorités est la formation : 650 bourses indiennes d’études sont offertes cette année aux Afghans, contre 38 par la France. New Delhi veut former des élites qui lui soient favorables et des entrepreneurs qui seront plus tard enclins à faire des affaires avec les Indiens.
À l’université d’Hyderabad, dans le sud de l’Inde, Edrees Mehr, un jeune Afghan de 25 ans, finit sa deuxième année d’économie. Un de ses amis lui avait parlé des bourses proposées par l’Inde. Edrees s’est dit que l’enseignement serait meilleur qu’à Kaboul et que ce serait plus simple d’obtenir une bourse pour l’Inde que pour l’Europe : « Ici, ça va. Par certains côtés, c’est mieux qu’à Kaboul. De toute façon, je n’ai pas d’autre option. » Il sait qu’un diplôme d’une université indienne est reconnu dans tous les pays d’Asie.