De Kaboul à Calais” : totalement bouleversant
À 22 ans, Wali Mohammadi est boulanger à Lille, passera le bac en
janvier et rêve d'intégrer Sciences Po. Il y a six ans, il était une
des ombres afghanes de Calais.par Wali Mohammedi
Afghanistan, terrorisme, talibans, pauvreté, migrants, passeurs, charters… Tous ces termes reviennent chaque jour dans notre actualité. Pour leur donner du sens, j’ai trouvé un livre remarquable, il s’agit de “Kaboul à Calais” de Wali Mohammadi. Un bouquin-témoignage paru il y a quelques jours chez Robert Laffont.
Wali Mohammedi est né en Afghanistan. Un pays où son père est mort sous la torture des talibans, un pays où sa mère est morte lors d’un attentat terroriste sur un marché… Tout juste âgé de quinze ans, Wali ne s’imagine pas d’avenir dans son pays en guerre et il décide de partir. Cap sur l’Angleterre.
Son livre nous relate ce périple redoutable, presque inhumain, entre Kaboul et Calais. “Je désirais également parler au nom des fantômes que l’on voit dans les rues de Calais” m’expliquait-il, vendredi au téléphone. “Ils ne parlent pas français, n’expriment pas les raisons de leur présence. Je voulais dire que tous ces gens ne sont pas venus parce qu’ils ont été éblouis par les lumières de l’Occident”. Ils sont là, coincés au bord de la Manche parce qu’ils ne peuvent pas faire autrement. Rester au pays c’est mourir à brève échéance. Alors…
Pour fuir, les migrants prennent tous les risques bien avant de poser le pied en Europe. “… La menace présente cinq visages pour le migrant. Ceux du trafiquant, du garde-frontière iranien, du garde frontière turc et des militants du PKK, le Parti des travailleurs du Kurdistan en rebellion contre le gouvernement turc, qui tirent sur tout ce qui bouge. Et puis, sournoises, ces mines prêtes à vous arracher un pied ou une jambe”… témoigne Wali.
kaboulcalais A pied, à cheval, en camion ou au moyen de ridicules petites embarcations de plage, Wali et quelques amis parviendront à franchir les obstacles et arriveront finalement en France. Puis à Calais, dernier arrêt avant l’Angleterre. Dans cette fameuse jungle détruite en septembre dernier. “En pashtou et en persan, forêt se dit djangal” écrit Wali. “L’éradication de la jungle par le ministre Eric Besson ne changera rien au problème. On ne fait que le déplacer une fois de plus”.
Wali, mineur, aura la chance d’être accueilli par une famille française. Désormais détenteur d’un passeport français, il réalisera alors sa promesse : celle de faire venir son petit frère en France…
Sa situation personnelle rêglée, il n’en demeure pas moins meurtri lorsqu’il regarde autour de lui. “Je suis gai lorsque je suis à Lille pour mon travail mais dès que je reviens à Calais, toute cette situation me serre le coeur.” Récemment, il s’est retrouvé en garde à vue pour avoir offert un repas à un migrant. Et lorsqu’on lui parle des charters de Monsieur Besson, trois mots lui viennent à l’esprit : tristesse, colère, dégoût.
“De Kaboul à Calais” de Wali Mohammadi (Robert Laffont) 19 €
- Six ans après, quel regard portez-vous sur votre périple ?
« D'abord, ce livre rend hommage à la France, aux Nordistes, aux gens de Calais qui m'ont aidé. J'ai voulu raconter ce périple pour expliquer que derrière les fantômes qu'on voit marcher dans la rue, il y a toujours une histoire. S'ils sont là, ce n'est pas seulement parce qu'ils sont attirés par les lumières européennes. C'est parce qu'ils n'ont pas d'autres solutions. S'ils restent, ils finiront comme le reste de la famille, tués. Je suis né dans la guerre, j'ai grandi dans la guerre. J'ai perdu mon père, ma mère, une soeur et deux frères. J'ai juste voulu sauver ma peau. »
- Les passeurs, rencontrés sur votre parcours, aident-ils ou exploitent-ils ?
« Cette question est difficile. Bien sûr qu'ils sont là pour exploiter, pour faire leur business. Ce sont des gens cruels et sans pitié.
Mais ils m'ont aussi aidé à passer et ça m'arrangeait. Chez vous aussi, pendant la Deuxième Guerre mondiale, des gens se sont fait payer pour sauver des Juifs... »
- Que retenez-vous des bénévoles de Calais ?
« Ce sont des gens formidables, magnifiques. Malgré le mal qui parcourt le monde, il existe encore des gens avec du coeur. On ferme les frontières mais on ne peut pas fermer celles du coeur. Je serai reconnaissant jusqu'à la fin de ma vie. »
- Votre but était l'Angleterre. Pourquoi être resté en France ?
« Si je n'avais pas rencontré la famille Loeuilleux à Coulogne, je serais passé en Angleterre et ma soeur m'aurait accueilli. Mais quand je suis arrivé à Calais, début janvier 2003, j'étais crevé. Il neigeait. Les policiers arrêtaient tout le monde. Ça faisait trois mois et demi que je n'avais pas mangé un vrai plat chaud. Je me suis laissé emporter par le confort. C'était pour gagner du temps mais je me suis attaché à ces gens devenus ma deuxième famille. J'ai vécu là une renaissance. »
- Que pensez-vous du nettoyage de la jungle (djanghal dans les langues persanes signifie forêt) et des expulsions récentes pour Kaboul ?
« M. Besson a voulu faire un coup médiatique. Il a fermé la jungle mais depuis, c'est encore pire. On n'a fait que déplacer le problème.
OK, les conditions de vie étaient mauvaises mais là, ils ont simplement décentralisé. Ça n'empêchera jamais les gens de revenir. Pour moi, les expulsions sont un crime. Comment peut-on renvoyer trois hommes dans un pays en pleine guerre ? Les Occidentaux envoient de plus en plus de forces armées et on dit que le pays est calme ! Tous les jours, cent personnes sont tuées et il n'y aurait pas de risques ? »
- Vous êtes désormais français, avez-vous envie de participer au débat sur l'identité nationale ?
« M. Éric Besson a lui-même un problème avec son identité. Il est passé de gauche à droite. Pour moi, la France est très bien comme ça.
Soyez fiers de votre nation, de votre civilisation. La France, c'est depuis toujours un mélange de tout le monde. Des Berbères, des Vikings, des Portugais... C'est ça la richesse de la France. »
- Un débat sur le voile intégral se pose aussi. Quel est votre avis ?
« La France est un pays démocratique, libre, pas un pays musulman comme l'Afghanistan où nous avons la tradition ancestrale de laburqa. Si j'étais resté en Afghanistan, ma femme l'aurait probablement portée. Ici, non. Pour moi, c'est plutôt le pays qui impose la pratique religieuse. »
- Aidez-vous vos compatriotes qui galèrent dans la région ?
« Je ne peux pas ! En septembre, à la gare de Lille, j'ai passé une journée en garde à vue parce que j'avais offert un petit déjeuner.
J'aimerais aider mais je ne veux pas aller en prison. Alors, j'aide autrement. Tous les foyers de Lille ont mon numéro et quand un jeune a besoin, je sers d'interprète, je renseigne sur les démarches administratives. Voilà... »
- Que pensez-vous de la situation en Afghanistan ?
« Il y aura peut-être une démocratie dans cent ans. Mais une élection avec une petite opposition, c'est un début. Pour l'instant, les choses tournent comme du temps de l'Union soviétique. Les Afghans ne sont pas cons. Ils savent bien que Karzaï (le président réélu) est une marionnette.
Seulement, si les armées étrangères partent, ce sera un bain de sang. L'homme va manger l'homme. Les talibans sont plus forts et extrémistes qu'avant. On n'a pas l'espoir de voir la paix dans dix ans. Pas étonnant que la jeunesse soit forcée à partir. »
- Comptez-vous jouer un rôle pour l'Afghanistan ?
« J'aimerais aider mon pays. Les bénéfices du livre permettront d'aider les orphelins d'Afghanistan. Avec mes amis afghans de Calais et de la région, nous allons monter une association pour ça. Je sais ce que c'est que d'avoir le ventre vide. » •