Un rapport de Human Rights Watch sur l’armée américaine
Au nom du droit, crimes et exactions en Afghanistan:
Récemment libérés sans qu’aucune charge ait pu être retenue contre eux, plusieurs détenus britanniques emprisonnés à Guantanamo ont fait état des tortures subies pendant leurs longs mois de détention. La base américaine est une zone de non-droit où, dans l’indifférence générale, sept Français restent enfermés, tandis que Paris continue d’adopter un profil bas dans ce qui constitue une flagrante violation des droits humains (lire « Des Français oubliés à Guantanamo »http://www.monde-diplomatique.fr/2004/04/CONCHIGLIA/11129 ).
D’autre part, un rapport de l’organisation américaine Human Rights Watch (1), publié le 9 mars, a dénoncé de manière vigoureuse le comportement des troupes américaines en Afghanistan : violation du droit de la guerre, usage disproportionné de la force, pillages, morts suspectes de civils, tortures en prison, etc. Au-delà de la critique de ces méthodes, ce texte amène à s’interroger sur le comportement des troupes françaises qui participent aux combats en Afghanistan aux côtés de leurs homologues américaines. Commettent-elles les mêmes exactions ? Les autorités françaises couvriraient-elles, par leur silence, des crimes de guerre américains ?
De manière significative, ce rapport, dont nous publions de larges extraits, a été passé sous silence par les grands médias français, ou simplement évoqué en quelques lignes.
Utilisation excessive de la force au cours des arrestations
Les forces américaines emploient régulièrement des méthodes militaires pour effectuer des arrestations en Afghanistan, et ce parfois en négligeant de respecter le droit international humanitaire et la Charte des droits de l’homme. Ainsi, les règles d’engagement américaines, conçues pour les situations de combat, sont souvent appliquées à la place des procédures d’arrestation civiles. De plus, les déficiences des services de renseignement ont entraîné la prise à partie de civils qui n’étaient pas impliqués dans les hostilités, des pertes civiles au cours des opérations d’arrestation et la destruction injustifiée de maisons. Des témoignages crédibles affirment également que les forces américaines ont frappé et font subir des sévices à certains prisonniers, que les troupes afghanes accompagnant les forces américaines ont brutalisé des civils et pillé les maisons des personnes arrêtées. (...)
Selon un responsable de l’ONU chargé de recueillir les témoignages sur les opérations de 2002, on reproche aux troupes américaines de se « comporter avec une brutalité de cow-boys » envers des civils qui « se révèlent généralement n’être que des citoyens respectueux de la loi ». Des témoins affirment notamment que les soldats « détruisent les portes avec des grenades au lieu de frapper » et traitent les femmes et les enfants avec brutalité.
Human Rights Watch est particulièrement préoccupé par les tirs répressifs (suppressing fire) utilisés au cours des opérations d’arrestation : la technique de feu consistant à tirer de manière massive et continue afin d’immobiliser les forces ennemies. Human Rights Watch estime que le recours immédiat à ce type de tirs (sans que l’ennemi ait tiré) ne convient pas pour les arrestations effectuées dans les zones résidentielles où aucun combat ne se déroule au moment des opérations.
Le cas d’Ahmed Khan et ses fils
Un soir de juillet 2002, les forces américaines prennent d’assaut la maison d’Ahmed Khan, dans le district de Zurmat, qui fait partie de la province de Paktia. Si le district de Zurmat n’est pas totalement stable, il est étroitement contrôlé par des forces afghanes alliées aux Etats-Unis. Au cours de l’assaut, Ahmed Khan et ses deux fils, âgés de 17 et 18 ans, sont arrêtés. Un paysan est tué par balle et une femme habitant une maison voisine est blessée. Human Rights Watch a interrogé des témoins de l’assaut, qu’Ahmed Khan relate en ces termes :
« C’était à l’époque de la récolte. Les paysans dormaient près des tas de foin... Il devait être 9 heures du soir. Nous étions au lit mais nous ne dormions pas encore... Soudain, il y a eu beaucoup de bruit. Des hélicoptères nous survolaient. Il y a eu de fortes explosions. La maison a tremblé. Les tours [Les coins de la maison] ont été touchées... L’assaut a commencé. Des hélicoptères ont approché, on les entendait tournoyer et tirer à la mitrailleuse. Cela faisait un bruit énorme. Il y avait des explosions. Ils ont détruit une tour à la roquette, ainsi qu’un des murs de la maison. »
Selon Ahmed Khan, la famille entière se couche alors sur le sol de la chambre, située au deuxième étage. Des balles brisent les vitres et les portes. Des voisins affirment avoir vu les hélicoptères tirer sur la maison et autour d’elle. Ahmed Khan raconte comment les soldats américains sont entrés chez lui en tirant avec leurs armes :
« Par les fenêtres brisées, j’ai vu qu’il y avait beaucoup de soldats dans la cour. Ils ont tiré dans la porte [d’entrée], l’ont ouverte et sont montés à l’étage. Ils sont aussi entrés par les fenêtres... Ils sont entrés par les fenêtres qui avaient été détruites par les tirs et les explosions. Ils sont arrivés à notre chambre. Ils ont enfoncé la porte et sont entrés en braquant des lampes torches et des fusils. Ils nous ont fait signe de lever les mains. Il n’y avait pas d’Afghans avec eux ni d’interprète pachtoune. Plus tard, nous avons vu un interprète dans la cour... Ils ont attaché les mains des hommes et ont dit aux femmes de descendre dans la cour. Puis ils nous ont aussi emmenés dans la cour. »
Les soldats, américains et afghans, fouillent ensuite la maison, faisant usage de leurs armes pour enfoncer les portes.
« Ils [des soldats américains] ont emmené les femmes dans l’autre bâtiment [de l’autre côté de la cour]. Puis ils ont fouillé la maison. Ils ont cassé toutes les vitres et arraché les portes des placards. Ils ont tiré dans les boîtes et les ont renversées. [Plus tard] ils nous ont mis des cagoules et nous ont fait sortir. On est montés dans un hélicoptère. J’entendais le moteur. On a volé longtemps... je ne sais pas combien de temps. Plus tard, on m’a dit que j’étais à Bagram. »
Après l’assaut, on retrouvera le cadavre de Niaz Mohammad, un paysan du village. Un voisin a déclaré à Human Rights Watch :
« [Plus tard], nous avons trouvé le corps de l’homme qui a été tué. C’était Niaz Mohammad. Il avait reçu une balle dans le pied et une dans le dos. Elle était entrée par le dos et était ressortie à travers le cœur. On l’a trouvé près du moulin. »
Ahmed Khan et ses voisins ont déclaré à Human Rights Watch que Niaz Mohammad dormait dehors, près des tas de foin, afin que personne ne vienne voler la récolte. (...)
Arrestations arbitraires ou injustifiées et détention indéfinie
Les forces américaines capturent régulièrement des combattants et des civils ayant pris les armes contre les troupes américaines, afghanes ou de la coalition, cela au terme de combats ou d’opérations d’arrestation. Cependant, les forces américaines arrêtent également des civils qui n’ont pas pris part aux hostilités, et parfois ces arrestations paraissent arbitraires ou basées sur des informations partielles ou des erreurs de renseignement.
Les forces américaines arrêtent parfois tous les hommes en âge de combattre qui se trouvent aux alentours de l’opération en cours. En d’autres occasions, des personnes sont arrêtées parce que les responsables américains estiment qu’elles représentent un risque pour la sécurité ou peuvent aider les services de renseignement – lorsqu’il s’agit par exemple de religieux ou de leaders locaux qui peuvent avoir eu des contacts avec les talibans, ou simplement des civils qui ont été vus à proximité d’un combat. Human Rights Watch a interrogé de nombreux civils qui ont été arrêtés parce qu’ils se trouvaient au mauvais endroit, au mauvais moment.
Pour nombre de ces hommes, l’arrestation marque le début d’un calvaire au cours duquel ils peuvent être frappés ou maltraités, interrogés de manière répétitive et apparemment aléatoire, et emprisonnés pendant des semaines ou des mois sans revoir leur famille. Et lorsqu’on les relâche, ils s’aperçoivent souvent que leur maison a été pillée par des soldats afghans.
Ainsi, au mois de mai 2002, des forces américaines prennent d’assaut deux maisons du village de Kirmati, près de la ville de Gardez, et arrêtent cinq hommes. Ceux-ci seront tous relâchés et ramenés à Gardez. Au cours de l’assaut, des témoins voient des avions et des hélicoptères américains survoler le village et déclencher des « tirs répressifs ». Cet assaut a lieu dans un quartier résidentiel et il n’a pas pu être prouvé que les Américains y ont rencontré une quelconque résistance. Kirmati était alors, et est toujours, sous le contrôle de forces afghanes alliées aux Etats-Unis.
Les cinq hommes arrêtés sont Mohammad Naim et son frère Sherbat, Ahmaddullah et son frère Amanullah, et Khoja Mohammad. Mohammad Naim raconte le raid :
« C’était tard dans la nuit. Après minuit. Tout à coup, il y a eu beaucoup de bruit, un bruit énorme, étourdissant... Je suis sorti dans la cour. Soudain, un homme m’a menacé de son arme. Je me suis rendu. »
Le frère de Mohammad Naim apporte un témoignage similaire. Ahmaddullah et Amanullah sont arrêtés dans une maison voisine. Un autre habitant du village, Khoja Mohammad, est arrêté quand il sort de chez lui pour voir ce qui se passe. (...)
Les cinq hommes sont emmenés à Bagram. Mohammad Naim poursuit :
« Ils nous ont jetés dans une pièce et nous ont maintenus face contre terre. On est restés comme ça un moment. Puis ils m’ont relevé et m’ont emmené ailleurs. Ils m’ont enlevé mon bandeau et j’ai vu que j’étais seul. Il y avait d’autres personnes dans la pièce, mais j’étais le seul prisonnier. On m’a mis à terre, un homme avait son pied sur mon dos. Un interprète m’a demandé mon nom et je leur ai dit. Ils m’ont dit d’enlever mes vêtements et je me suis retrouvé nu. Ils nous ont pris en photo, nus. Puis ils nous ont donné d’autres vêtements, de couleur bleu marine.
» Un homme est arrivé, avec un sac en plastique. Il m’a passé la main dans les cheveux. Puis a coupé une mèche, ainsi que des poils de ma barbe... Le plus terrible de toute cette expérience fut qu’ils nous prenaient en photo alors que nous étions nus. Complètement nus. C’était totalement humiliant. »
D’après Mohammad et Sherbat Naim, l’interrogatoire qui s’est déroulé au cours des jours suivants est resté très vague, ce qui suggère que les enquêteurs américains n’avaient aucune idée de qui étaient les deux frères. (...)
Après seize jours de détention, dont six d’interrogatoire, les Américains ont relâché les cinq hommes. Sherbat a déclaré :
« Quand ils nous ont relâchés, un Américain nous a dit : “Nous vous présentons nos excuses, au nom de l’Amérique, et même au nom du président Bush. Nous sommes désolés.” Ils nous ont dit qu’ils nous donneraient une compensation pour ce qui s’était passé. Ils ont dit qu’on recevrait une aide. Mais on n’a rien eu.
» Ils nous ont remis des cagoules et on est remontés en hélicoptère pour rentrer à Gardez. On a atterri et on est montés en camion. On leur a demandé de s’arrêter avant le village, pour qu’on y aille à pied. L’interprète nous a donné 30 000 afghanis [anciens, soit environ 70 cents américains], pour qu’on puisse au moins acheter du thé. » (...)
Les centres de détention de la CIA
Des agents de la CIA ont commencé à opérer en Afghanistan juste après le 11 septembre 2001, pour mener des opérations militaires et de renseignement. La CIA dispose d’un vaste centre d’opération à Kaboul. Situé dans le quartier d’Ariana Chowk, ce bâtiment étroitement gardé est protégé par un mur d’enceinte de 13 mètres de haut, du fil barbelé et des miradors. La CIA possède également un centre de détention et d’interrogatoire à la base aérienne de Bagram, bien que cela n’ait jamais été officiellement reconnu par les Etats-Unis. Il est impossible de savoir qui y est détenu, pour combien de temps et dans quelles conditions. On ne sait pas non plus quels sont les critères qui motivent le transfert de prisonniers détenus ici vers d’autres installations américaines.
Human Rights Watch a interrogé un ancien chef taliban qui a été emprisonné huit mois dans une installation non répertoriée située aux environs de Kaboul. Il était gardé par des soldats afghans, mais interrogé par des Américains en civil. Le personnel militaire américain étant obligé de porter l’uniforme en Afghanistan, il est possible que ces enquêteurs aient appartenu à la CIA. Cet ancien chef taliban a affirmé qu’il y avait d’autres prisonniers avec lui. Il a entendu leurs voix et les gardes parlaient à d’autres détenus. Il déclare avoir coopéré avec les Américains et ne pas avoir été maltraité. Il pense avoir séjourné dans une prison située dans le quartier de Shashdarak, à Kaboul, ou dans le centre appartenant à la CIA qui se trouve à Ariana Chowk.
Il est également prouvé que les Etats-Unis détiennent en Afghanistan des personnes capturées à l’extérieur du pays. (...)
Les conditions légales de détention des civils et des combattants en Afghanistan
Les lois internationales humanitaires protègent les droits de toute personne arrêtée et emprisonnée au cours de conflits armés. Depuis la formation du gouvernement d’Hamid Karzaï, les combats qui se déroulent en Afghanistan sont considérés comme un conflit « non international », un conflit armé intérieur. Les personnes arrêtées au cours d’un conflit interne doivent être traitées selon l’article 3 de la convention de Genève, selon les termes du droit international humanitaire coutumier et selon la Charte internationale des droits de l’homme.
Dans un conflit interne, les personnes appréhendées au cours des combats peuvent être poursuivies pour avoir pris les armes contre le gouvernement. Il s’agit donc d’une situation différente de celle d’un conflit international, où les soldats doivent être traités selon le « privilège du combattant », qui interdit de les poursuivre pour le simple motif d’avoir pris part au combat. Cela signifie que le gouvernement afghan peut poursuivre devant la loi afghane toute personne participant au conflit actuel. Cependant, ces poursuites doivent être effectuées par des tribunaux satisfaisant aux normes légales internationales.
Les personnes appréhendées alors qu’elles n’ont pas participé aux hostilités doivent être inculpées d’un délit ou relâchées. Ces personnes bénéficient de la protection de la Charte des droits de l’homme, et notamment du droit à connaître les chefs d’accusation, du droit à un avocat et à un procès équitable mené par un tribunal indépendant. (...)
Même si les Etats-Unis continuent à affirmer que l’Afghanistan relève toujours d’un conflit de type international, leur comportement vis-à-vis des prisonniers s’avère contraire à la loi internationale. Au cours des conflits armés internationaux, des civils peuvent être emprisonnés pour des « raisons de sécurité impératives », mais ils ne peuvent être détenus pour une période indéfinie. La quatrième Convention de Genève autorise leur détention « seulement si la sécurité de la puissance détentrice est immédiatement menacée ». Et, même dans ce cas, le prisonnier a le droit de voir sa condition révisée « le plus rapidement possible » par une cour ou une instance administrative mises en place par la puissance détentrice à cet effet. Il apparaît donc que la plupart des règles régissant les conflits internes s’appliquent également aux conflits internationaux. En négligeant de respecter ces règles, les Etats-Unis violent le droit international. (...)
Mauvais traitements en détention
La base aérienne de Bagram
Human Rights Watch a reçu des témoignages crédibles sur de mauvais traitements infligés aux prisonniers du centre de détention situé à Bagram. Il semble également qu’à la fin de l’année 2001, durant les premiers mois qui ont suivi la mise en service de cette installation, les prisonniers y aient été particulièrement brutalisés.
Deux prisonniers détenus à Bagram en mars 2002 (qui ont été ensuite envoyés à Guantanamo, puis relâchés et rapatriés) racontent avoir été maintenus en cellule pendant plusieurs semaines, en groupe, avec seulement leurs sous-vêtements. Selon les deux hommes, des projecteurs étaient braqués vers leur cellule et des soldats américains se relayaient pour les maintenir éveillés en frappant les barreaux avec des matraques. Ils déclarent avoir vécu dans un état de peur et de désorientation engendré par la privation de sommeil, qui aurait duré plusieurs semaines. Pendant les interrogatoires, on les obligeait à rester debout pendant plusieurs heures avec une lampe braquée dans les yeux. On leur disait qu’ils seraient interrogés seulement s’ils restaient immobiles pendant une heure. S’ils bougeaient, ne serait-ce que la tête, quelqu’un leur disait que « le chronomètre avait été remis à zéro ». Par l’intermédiaire d’interprètes, des Américains placés derrière les projecteurs leur criaient des questions.
Deux autres prisonniers détenus à Bagram à la fin de l’année 2002 ont déclaré à un journaliste du New York Times qu’on les obligeait à rester debout, nus et enchaînés, pendant plusieurs semaines de suite. Ils auraient également été privés de sommeil et frappés.
Un journaliste d’Associated Press a interrogé deux prisonniers détenus à Bagram de fin 2002 à début 2003 : Saifur Rahman et Abdul Qayyum. Qayyum a été arrêté en août 2002, Rahman en décembre 2002. Tous deux ont été emprisonnés plus de deux mois. Interrogés séparément, ils ont affirmé avoir subi des privations de sommeil, avoir été forcés de rester debout pendant de longues périodes et avoir été insultés de manière humiliante par des femmes soldats. Rahman raconte avoir passé sa première nuit de détention nu, dans une cellule glacée, où on l’a aspergé d’eau froide. Selon lui, il était alors détenu à la base militaire de Jalalabad. Ensuite, à Bagram, des soldats américains l’ont forcé à rester allongé par terre, nu, immobilisé par une chaise. Il déclare avoir été enchaîné en permanence, même pendant son sommeil, et ne pas avoir eu le droit de parler aux autres prisonniers. Qayyum et Rahman ont eu des liens avec un des chefs de la province de Kunar, Rohullah Wakil, élu en 2002 à la Loya Jirga de Kaboul. Cet homme a été arrêté en août 2002 et est toujours emprisonné.
Selon des témoignages de détenus relâchés, les Américains punissent les prisonniers de Bagram dès qu’ils enfreignent le règlement. Par exemple, lorsqu’ils parlent à d’autres prisonniers ou crient après leurs gardes. La personne est alors forcée de tenir ses bras enchaînés au-dessus de sa tête ; les chaînes sont coincées au-dessus d’une porte afin de l’empêcher de baisser les bras. La personne est forcée de rester dans cette position pendant plusieurs périodes de deux heures. Selon un détenu qui a subi cette punition, ce traitement cause de fortes douleurs dans les bras. (...)
Plusieurs responsables américains, qui ont choisi de garder l’anonymat, ont déclaré aux médias que les enquêteurs de l’armée et de la CIA ont recours à la privation de sommeil et que les prisonniers sont parfois forcés de rester debout ou à genoux pendant des heures, la tête recouverte d’une cagoule ou de lunettes peintes en noir, dans des positions douloureuses.
En mars 2003, un responsable américain a raconté au New York Times qu’Omar Faruq, emprisonné à Bagram et soupçonné d’être un proche d’Oussama Ben Laden, a subi des techniques d’interrogatoire qui « n’étaient pas de véritables tortures, mais s’en rapprochaient énormément ». Faruq a été privé de nourriture, de sommeil et de lumière, maintenu en complet isolement et enfermé dans une pièce où la température variait entre – 12° et 38°C. Le même mois, d’autres responsables américains ont raconté au New York Times les interrogatoires subis par Abu Zubaydah, soupçonné d’être un chef d’Al-Qaida et probablement détenu à Bagram depuis mars 2003. Au cours de sa capture au Pakistan, Abu Zubaydah a été blessé par balles au torse, à l’aine et à la cuisse. Les personnes qui l’ont interrogé ont fait varier les doses d’antidouleur pour le faire parler. Des militaires chargés de mener les interrogatoires ont déclaré au Wall Street Journal :
« L’enquêteur peut jouer sur les peurs du prisonnier, comme la phobie des rats ou des chiens. On peut se faire passer pour quelqu’un qui vient d’un pays où la torture est autorisée, ou menacer la personne de l’envoyer dans un tel pays. Le prisonnier peut être déshabillé, rasé et privé de tout objet de culte ou article de toilette. » (...)
Les morts en détention sous responsabilité américaine
En décembre 2002, deux Afghans sont morts en détention à la base de Bagram. Les médecins militaires qui ont effectué l’autopsie ont conclu à l’homicide.
Un des prisonniers, Dilawar, âgé de 22 ans et qui venait de la ville de Khost, dans le sud-est de l’Afghanistan, est mort le 10 décembre des suites de « coups contondants aux extrémités inférieures qui ont entraîné des complications d’une maladie de l’artère coronaire ». Le certificat de décès, que le New York Times s’est procuré, a été établi par un médecin militaire. L’autre prisonnier, Mullah Habibullah, âgé d’environ 30 ans et originaire de la province d’Oruzgan, est mort le 3 décembre 2002. Devant des journalistes, un porte-parole militaire de la base de Bagram a confirmé que le légiste militaire avait conclu à l’homicide, causé par « une embolie pulmonaire provoquée par des coups contondants portés aux jambes ». Contactés par Human Rights Watch en novembre et décembre 2003, les deux médecins ont refusé de témoigner. (...)
Les conditions légales du traitement des prisonniers
L’interdiction des mauvais traitements et de la torture des prisonniers est un des piliers du droit international humanitaire et de la Charte des droits de l’homme. (...)
Le port prolongé de chaînes est une violation du droit international et peut être considéré comme une forme de torture. Le rapporteur spécial sur la torture cite à de nombreuses reprises, et dans des contextes différents, le port prolongé de chaînes comme exemple de torture. Le secrétaire général des Nations unies a également désigné les chaînes comme un instrument de torture.
La privation de sommeil et l’exposition au froid vont également à l’encontre du droit international et peuvent être considérées comme des tortures. Le département d’Etat américain, dans son « Rapport sur le respect des droits de l’homme pays par pays », cite à plusieurs reprises la privation de sommeil et le froid comme des exemples de torture. (...)