Haji Zaman Ghamsharik, le "warlord" (Seigneur de guerre) afghan soupçonné d'avoir aidé Oussama ben Laden à quitter les grottes de Tora Bora, en décembre 2001, vient d'être assassiné dans les environs de Jalalabad (est de l'Afghanistan). Il avait passé plusieurs années en exil à Dijon. De Peshawar, au Pakistan, où il était rentré à l'automne 2001, Haji Zaman avait organisé son retour à Jalalabad.
L'homme était charismatique. Je l'avais rencontré à plusieurs reprises en novembre 2001, à Peshawar, alors qu'il rassemblait ses hommes de la "Choura de l'Est" : des dizaines de commandants pachtouns qui s'étaient battus contre les troupes soviétiques, dans les années 1980, puis contre les talibans. Lorsque les étudiants en théologie avaient pris le pouvoir à Kaboul, en 1996, la plupart d'entre eux avaient choisi l'exil. Haji Zaman Ghamsharik était de ceux-là. Il avait trouvé refuge à Dijon. A l'automne 2001, il était revenu au Pakistan et se préparait à marcher sur Jalalabad, dans la province de Nangarhar, à l'est de l'Afghanistan. Il avait fini par prendre la route le 15 novembre 2001, accompagné par 4.000 hommes. Il faut bien l'avouer, ce départ avait quelque chose d'émouvant. " Je retourne dans mon pays et j'en suis heureux ", avait lancé le chef pachtoun en prenant place dans son véhicule tout-terrain aux vitres fumées. Puis le cortège hétéroclite - il y avait des 4x4 rutilants mais aussi des camions déglingués - s'était ébranlé pour ce voyage historique... de trois heures.
Haji Zaman nourrissait de grandes ambitions. Le fait qu'il appartienne à la tribu des Khugyani, alliée historique de celle des Popalzai, dont est issu le président Hamid Karzaï, lui avait sans doute facilité la tâche. Dès l'effondrement du régime taliban à Kaboul, Karzaï, qui dirige alors le gouvernement intérimaire, le nomme commandant militaire de Jalalabad et d'une vaste partie de l'Est-afghan. Y compris Tora Bora. Il en sera chassé plus tard par Haji Qadir, l'ancien gouverneur de Jalalabad. Celui-ci sera assassiné en juillet 2002 à Kaboul, où il était devenu vice-président. A cette époque, Haji Zaman avait repris le chemin de l'exil, en France et au Pakistan. Pour autant, il fut accusé d'avoir orchestré l'assassinat de son ancien rival. Il y a peu de temps, Hamid Karzaï a réuni une tribal jirga (assemblée traditionnelle) pour essayer de déterminer le degré de responsabilité de Ghamsharik dans la mort de Haji Qadir. Elle n'a débouché sur rien de concret.
Pour les Occidentaux, Haji Zaman est surtout l'homme qui aurait laissé filer Oussama ben Laden, voire l'aurait aidé à s'enfuir des grottes de Tora Bora. Je vous conseille vivement de lire le récit de Mary Anne Weaver publié dans le New York Times du 11 septembre 2005, intitulé " Lost at Tora Bora ". Non seulement il dit tout sur les circonstances de la fuite d'Oussama, mais il met en lumière les carences de la stratégie américaine en Afghanistan. Cinq ans plus tard, l'analyse est, hélas, toujours d'actualité...
Personnage trouble et controversé, accusé, notamment, d'avoir fait fortune grâce à l'argent de la drogue, Haji Zaman Ghamsharik avait donc de nombreux ennemis. Il n'en mijotait pas moins un retour sur la scène politique afghane. Malgré le scandale de Tora Bora et les soupçons d'assassinat qui pesaient sur lui, il était rentré en Afghanistan - toujours via le Pakistan - au printemps dernier afin de prendre part à la campagne électorale d'Hamid Karzaï. Il a été tué par un kamikaze lundi 22 février non loin de Jalalabad, alors qu'il participait à une cérémonie de redistribution des terres. Quatorze personnes ont également trouvé la mort dans cet attentat que les talibans refusent de signer. Les mystères, Haji Zaman avait l'habitude...