Salam
Le général McChrystal, commandant en chef des troupes de l'Otan et des forces américaines en Afghanistan, a décidé de retirer la compagnie qui contrôlait la vallée de Korengal, dans la province montagneuse de Kunar (nord-est du pays). Cette vallée perdue, au relief difficile, longue de 15 kilomètres, est peuplée de 4 500 Pachtouns pratiquant un islam ascétique. Située au nord de l'axe routier Kaboul-Djalalabad-Peshawar, elle a souvent servi de point de transit pour les talibans, venus des zones tribales pakistanaises, afin de combattre l'ennemi «infidèle» américain.
Les forces américaines s'y sont implantées à partir de l'année 2005, dans l'espoir d'y interrompre le flux de combattants et d'armes en provenance du Pakistan. Mais elles n'ont jamais réussi à se faire adopter par la population. Le magazine Time qualifia récemment Korengal de «vallée de la mort», parce que 42 soldats américains y ont été tués en l'espace de moins de cinq ans. «Il faut le reconnaître, notre présence dans la vallée a toujours irrité la population. Dans ces conditions, il était inutile d'insister», a confié Stanley McChrystal.
Le «retrait tactique» de Korengal s'inscrit dans la nouvelle stratégie de l'Otan, que son commandant en chef avait exposée à l'été 2009, deux mois après son arrivée dans le pays. Stratégie dont les deux piliers sont la «protection des populations» et la «reconquête du pays utile». L'état-major américain a estimé que les farouches tribus pachtounes de la vallée de Korengal ne voulaient ni des «bienfaits» de l'administration du gouvernement Karzaï, ni de la protection américaine qui allait avec. Comme cette région reculée ne fait pas partie du «pays utile» - à la différence des cultures vivrières de la riche vallée de la rivière Helmand (sud du pays) reconquises récemment par les troupes américaines et britanniques -, le général McChrystal a pensé que le jeu n'en valait plus la chandelle. «Cela ne me sert à rien d'aller faire la chasse aux insurgés dans les déserts et les montagnes, nous avait confié le général en septembre dernier. Si je repère un groupe de dix talibans en vadrouille sur une crête, et que j'arrive à en tuer deux, quel sera mon résultat final? Je ne me retrouverai pas avec un groupe de huit insurgés, mais bien plutôt de seize, car quatre cousins de chacune des victimes auront décidé, “par honneur”, de rejoindre la rébellion.»
Double stratégie
Les stratèges américains pensent désormais qu'il vaut mieux «tenir à 100% 60% du territoire afghan, que tenir à 60% 100% de la superficie du pays». En Afghanistan, seul le «croissant pachtoun» est en état d'insurrection, car les Tadjiks, les Ouzbeks et les Hazaras (chiites concentrés dans les régions ouest de Kaboul et très présents dans la capitale depuis la chute des talibans en novembre 2001) n'ont strictement rien contre les Américains.
Le plan de McChrystal pour réduire la virulence de l'insurrection pachtoune repose sur une double stratégie, interne et externe. À l'intérieur du pays, il organise la reconquête des zones très peuplées et des grands axes de communication, pour ensuite en confier le contrôle à l'armée et à la police afghane - lesquelles n'ont toujours pas le niveau de professionnalisme et d'intégrité requis, au grand désespoir des formateurs de l'Otan. À l'extérieur, McChrystal s'appuie sur le chef de l'armée pakistanaise, le général Kayani, avec lequel il a réussi à nouer des liens de grande confiance.
Prochain test à Kandahar
De fait, l'armée pakistanaise a considérablement accru ses efforts pour mater les talibans présents dans les zones tribales frontalières de l'Afghanistan et pour mieux contrôler la «ligne Durand», frontière dessinée par un gouverneur britannique à la fin du XIXe siècle, que les Pachtouns n'ont jamais acceptée, car elle divisait en deux cette vieille ethnie guerrière.
Évidemment, le «retrait tactique» américain de Korengal a été immédiatement instrumentalisé par les talibans, dans la guerre médiatique qu'ils mènent contre l'Otan et le gouvernement Karzaï. «C'est une grande victoire pour nous», a déclaré à l'AFP, par téléphone, un porte-parole des talibans, Zabihullah Mujahid. En octobre dernier, après que le président Obama lui eut accordé un renfort de 30 000 soldats américains, le général McChrystal avait réclamé un «délai d'un an avant d'être jugé». L'opération de ratissage de la région de Kandahar, prévue pour le mois de juin, constituera le prochain «test-match» du commandant en chef.