par Hicham Hamza
Justice contre une barbarie européenne. Aujourd’hui, le Tribunal Pénal International a condamné deux anciens haut gradés serbes à la réclusion à perpétuité pour leur rôle dans le massacre, commis à Srebrenica en 1995, de près de 8000 musulmans. Un début de réparation judiciaire qui n’exempte pas les responsables politiques de la scène mondiale, coupables, au moment des faits, d’une tragique passivité.
Génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité : tels sont les principaux chefs d’inculpation retenus à l’encontre de Vujadin Popovic et Ljubisa Beara. A ce jour, c’est le jugement le plus sévère jamais prononcé par la juridiction dans le procès relatif à la guerre qui s‘est déroulée de 1992 à 1995 en ex-Yougoslavie. Les deux hommes ont été présents sur les sites, localisés à l’est de la Bosnie, où des musulmans capturés ont été détenus et exécutés entre le 13 et le 23 juillet 1995. Le nombre précis des victimes s’élèverait, selon le tribunal, à 7826 individus, dont 5336 ont pu être formellement identifiés. Le juge Carmel Agius a mis en cause la « robuste participation » de l’ancien lieutenant-colonel Popovic qui « savait que l’intention ne consistait pas uniquement à tuer ceux qui étaient tombés entre les mains des forces bosno-serbes mais d’en tuer autant que possible dans le but d’exterminer un groupe ». Pire encore, « l’échelle et la nature de l’opération criminelle, le nombre sidérant de victimes, la manière systématique et organisée qui a été déployée, le ciblage et la persécution sans relâche des victimes, et l’évidente intention - comme l’indiquent les preuves- d’éliminer chaque Bosniaque musulman qui fut capturé ou qui s’était rendu démontrent, au-delà de tout doute raisonnable, qu’il s’agissait d’un génocide ». Cinq autre accusés ont été condamnés à des peines allant de 5 à 35 ans de prison.
Un procès emblématique pour la crédibilité du TPI, juridiction spéciale instituée par l‘ONU en 1993. Il aura fallu près de quatre années d’audience pour réunir 21 individus inculpés pour les crimes de Srebrenica, 315 témoins à la barre et 5383 pièces à conviction .
Un carnage annoncé à deux heures de Paris
Le verdict pourrait prochainement affecter le procès en cours d’un autre responsable des massacres serbes en Bosnie-Herzégovine : Radovan Karadzic, accusé également de génocide dans le carnage de Srebrenica. L’homme, figure-clé des manoeuvres militaires, s’en défend et préfère qualifier ce crime à grande échelle de « mythe ». Cet ancien psychiatre et poète, reconverti dans l’épuration ethnique, a été capturé à Belgrade en 2008, au grand dam de la frange nationaliste de la population serbe qui conteste le TPI, qualifié de « tribunal politique ». Cela n’a pas empêché, en mars dernier, le Parlement serbe de condamner, en présentant ses excuses, le massacre le plus important jamais commis en Europe depuis la Shoah. Un tournant diplomatique pour la Serbie qui a également intensifié ses efforts pour retrouver le fugitif Ratko Mladic, l’ancien général responsable des opérations à Srebrenica ainsi que du siège, durant 44 mois, de la ville de Sarajevo qui a causé la mort de plus de 10000 Bosniaques.
Dans l’enclave de Srebrenica, pourtant protégée par les casques bleus de l’ONU, les troupes serbes, dirigées par le trio Milosevic/Karadzic/Mladic, avaient expulsé de leurs habitations des dizaines de milliers de Bosniaques et exécuté, en quelques jours, près de 8000 hommes, dont de nombreux adolescents. La volonté de nettoyage ethnique, déployée par les officiels serbes, était un secret de polichinelle pour les dirigeants de la communauté internationale. Pourtant, envers cette non-assistance à communauté en danger, aucun tribunal n’est allé réclamer des comptes aux principaux leaders de l’ONU ou de l’Union Européenne pour leur absence de réaction concrète alors que se déroulait le drame.
En 1993, Jean-Luc Godard réalisa un court-métrage, « Je vous salue Sarajevo » , qui se termine par ces mots du poète Louis Aragon, extraits de son recueil intitulé « Le Crève-coeur » et rédigé à l’orée de la seconde guerre mondiale : « Quand il faudra fermer le livre, ce sera sans regretter rien : j’ai vu tant de gens si mal vivre, et tant de gens, mourir si bien ».