Les auditeurs de France Inter ont entendu ce matin la dernière chronique de la saison de Stéphane Guillon. Philippe Val, le patron d'Inter, et Jean-Luc Hees, le patron de Radio France, ont décidé de supprimer la chronique humoristique de 7 h 55 à la rentrée de septembre. Par la même occasion, Stéphane Guillon ne se verra proposer aucune autre collaboration sur la grille d'Inter, pas plus au Fou du roi qu'ailleurs. Autrement dit, l'humoriste est congédié. Il touchera, comme la loi le prévoit, les indemnités correspondantes à son ancienneté sur Inter.
Ils seront sans doute nombreux à regretter son humour noir, sa méchanceté jouissive, ses piques sur les "yeux de fouine" d'Éric Besson, ses allusions bouffonnes aux affaires de moeurs qui ont chahuté le règne de DSK au FMI... D'autres, en revanche, commençaient à trouver "lourdingue" l'instrumentalisation de l'antenne de France Inter dans le conflit qui l'oppose à sa direction. En effet, Guillon n'a jamais hésité à se moquer des limites que Jean-Luc Hees a tenté d'imposer à ses sarcasmes sur le physique des invités de la matinale d'Inter. S'ingéniant à se peindre en "sale gosse", l'humoriste a cru utile de défier l'autorité de ses patrons, comme s'il devait prouver à tous qu'il incarnait à lui seul la résistance à une forme d'oppression. Guillon n'a pas davantage reconnu l'autorité d'un Philippe Val, lui-même auteur de nombreux excès quand il était humoriste...
Demorand éclipsé par Guillon
Difficile de garder la tête froide quand le président Sarkozy lui-même fait savoir que les chroniques de Guillon sont "inadmissibles". Circonstance aggravante : le chef de l'État désigne désormais lui-même le président de Radio France. Conséquence : Guillon s'est cru un devoir de taper deux fois plus fort sur le gouvernement. Au risque de ne plus être assez drôle. De l'humour, Guillon est passé à l'humeur, puis au pamphlet, éclipsant, provocation après provocation, le travail des 105 journalistes de France Inter. Même Nicolas Demorand, la star maison, fut peu à peu réduit au rang d'aimable faire-valoir d'un Guillon ivre de lui-même, justifiant au coup par coup ses excès.
Jean-Luc Hees, du temps où il dirigeait Inter, avait été le premier à installer une chronique d'humour. Guy Carlier avait inauguré le genre de la chronique vacharde. Pourquoi cela n'avait pas vraiment posé de problème, à l'époque ? Les centres d'intérêt de Guy Carlier étaient plus larges : show-bizz, sports, et pas seulement politique. Lorsque Guy Carlier avait le sentiment d'avoir eu la dent trop dure, il lui arrivait d'envoyer des fleurs à sa "victime", un mot aimable... Hees et Carlier dialoguaient et ajustaient le tir, sans trop d'enjeu personnel.
Hees/Guillon, les raisons de la rupture
Avec Guillon, le dialogue s'est rompu. Très exactement, en juin dernier. Guillon a demandé à Hees de l'embaucher à temps plein. Selon Hees, Guillon ne se plaisait plus sur Canal+ en dépit d'un rond de serviette tout à fait appréciable (9.000 euros par semaine chez Thierry Ardisson). En effet, sur la chaîne cryptée, l'émission est enregistrée, ce qui permet à Canal+ d'exercer un contrôle éditorial. Du coup, Guillon ne peut pas y tenir des propos outranciers sans validation de la chaîne tandis que sur France Inter, sa liberté est totale. L'affaire aurait pu se conclure si Guillon n'avait exigé que Radio France compense son manque à gagner. France Inter ne peut se permettre des cachets aussi élevés...
Hees a concédé une augmentation très symbolique à Guillon, de l'ordre de quelques euros... Vexation ? À partir de là, les deux hommes se sont éloignés. Et les choses ont dégénéré quand Hees a présenté les excuses de Radio France à Éric Besson suite à une chronique de Guillon particulièrement sévère. "J'ai la responsabilité de 4.000 collaborateurs. Guillon ne représente que 1/4000e de mes préoccupations", lâche Hees, qui n'a aucune intention de se laisser dicter un rapport de forces par l'un de ses employés. En début de mandat, Hees comme Philippe Val ont besoin d'imprimer leur leadership sur une station de qualité mais complexe, ultra-syndicalisée, et sujette à la paranoïa chronique. Jean-Paul Cluzel, son prédécesseur, a chèrement payé de n'avoir pas su recadrer Guillon. En privé, il exprime souvent le regret d'avoir laissé s'installer cette pastille d'humour juste avant le journal de Fabrice Drouelle.
Philippe Val n'a pas totalement renoncé à installer un rendez-vous d'humour. "Mais certainement pas à 7 h 55, au milieu d'une tranche d'info", glisse-t-il. Cet été, l'imitateur Gérald Dahan effectuera ses premiers pas sur France Inter. Il animera une série sur l'histoire de l'humour. Un stage d'été avant un CDD à la rentrée ?