PIERRE HENRY - DG DE FRANCE TERRE D'ASILE : 23/08/2010
«Les annonces sur la déchéance de nationalité masquent d'autres débats»
A propos du démantèlement des camps de Roms, vous évoquez le «caractère cyclique de ces démonstrations de force». N'assistons-nous pas en 2010 à un mouvement d'une autre ampleur avec l'annonce d'un démantèlement de 600 camps ?
C'est le feuilleton de l'été à l'approche des élections présidentielles. Durant l'été 2005, Nicolas Sarkozy, ministre de l'Intérieur, s'en est pris à un gamin mineur du côté de Perpignan, ce qui lui avait donné l'occasion de tirer à boulets rouges sur les gitans. En 2006, en plein mois d'août, il a fait évacuer de manière très spectaculaire le squat de Cachan. Nous assistons à la répétition d'un scénario désormais bien rodé et qui s'est, dans le passé, avéré gagnant - puisque Nicolas Sarkozy a été élu Président de la République en 2007. Deux ans avant les prochaines présidentielles, il recommence avec des discours plus radicaux. Il faut faire «plus fort». Il est plus facile de tenir ce discours que de s'atteler avec les 27 pays de l'Union européenne à bâtir un véritable plan d'intégration des populations roms. Mais les Français ne sont pas dupes de cette stratégie.
Pourtant selon le sondage publié par le Figaro le 5 août, 79% des Français approuveraient le démantèlement des camps illégaux de Roms...
Tout dépend de la manière dont on pose la question. Les Français ressentent effectivement l'insécurité - celle qui est liée bien sûr aux agressions- mais il ne faut pas oublier l'insécurité sociale, l'insécurité du pouvoir d'achat, etc. Vous évoquez le sondage du Figaro, je peux vous parler de celui de Marianne : 69% des personnes interrogées considèrent que la politique de sécurité menée depuis 2002 par Nicolas Sarkozy, a été plutôt inefficace. Ne tombons pas dans le piège des réponses radicales. Il faut que chacun reste ferme dans la défense de ses valeurs.
Vous évoquez un plan d'intégration européen des Roms. Cette question dépasse-t-elle la souveraineté nationale ?
La réponse ne peut être qu'européenne. La commission européenne a lancé un projet pilote sur l'intégration des Roms pour la période 2007 - 2013. C'est dans ce sens qu'il faut travailler. Il faut aussi que ces populations cessent d'être victimes de discriminations dans leur propre pays. Les gouvernants européens doivent rappeler la Roumanie et la Bulgarie à l'ordre. Ce n'est pas en jouant les bonimenteurs qu'on résout une question complexe, et la politique migratoire l'est particulièrement. Ces populations, dont les camps ont été démantelés partout en France, qui ont erré dans les rues avant d'être expulsées, peuvent revenir dans notre pays. Rien ne l'interdit. J'attends de voir comment le projet de loi sur l'immigration va, comme le promet Eric Besson, limiter la circulation des Européens en France. La politique ne se résume pas à faire des moulinets avec les bras et du bruit avec la bouche.
A propos des condamnations exprimées par des membres du comité pour l'élimination de la discrimination raciale de l'ONU contre la France, Claude Guéant les a contestées dans la mesure où le comité ne rendra son avis que fin août. Qu'en pensez-vous ?
Je ne suis pas surpris. Lorsque des experts ou des intellectuels s'expriment, leurs propos sont invalidés par le pouvoir en place. Lorsque les journaux étrangers pointent du doigt la politique de la France en matière d'immigration, on répond que la France n'a de leçons à recevoir de personne. Il faut cesser de jouer les «Frédéric Lefebvre», c'est trop simpliste. Sommes-nous oui ou non partie prenante d'instances internationales de régulation à l'ONU ? Si oui, il faut accepter les critiques. J'ajouterais qu'il n'est pas commun de voir la France attaquée de la sorte.
Brice Hortefeux fera fin août des propositions de mise en œuvre juridique de la déchéance de nationalité française. Cette sanction vous semble-t-elle appropriée ?
Les conditions, strictes, dans lesquelles la nationalité française peut être retirée sont prévues à l'article 25 du code civil. Le droit de la nationalité ne doit pas sanctionner des comportements sociaux dits «déviants». Cette annonce a déjà fait des dégâts dans les esprits. Elle a signifié à un certain nombre de jeunes Français qu'ils ne seront jamais tout à fait d'ici. C'est aussi un chiffon rouge opportunément utilisé à la veille de la discussion du projet de loi sur l'immigration - un peu comme l'amendement ADN dans le précédent texte - pour masquer d'autres débats. Pour lutter contre l'immigration dite irrégulière, le projet de loi va renforcer les pouvoirs de l'administration, tenir à distance le juge judiciaire et placer la rétention au cœur du projet migratoire. N'occultons pas ces aspects !
Fin juin, vous avez qualifié la rétention des étrangers en situation irrégulière d' «inefficace». Pourquoi ?
La rétention est une privation de liberté et elle doit rester exceptionnelle. Il ne faut pas s'habituer à l'enfermement. Nous avons présenté dans un rapport des alternatives à la rétention : l'assignation à résidence par exemple. Si vous êtes arrêté et placé en garde à vue (GAV), le procureur décidera de la prolongation de la GAV après 24 heures, et après 48 heures c'est un magistrat qui se prononcera. L'actuel projet de loi sur l'immigration prévoit que l'étranger placé en rétention pourra être enfermé pendant cinq jours sans contact avec le juge judiciaire. Au nom de quel principe ce que nous n'admettons pas pour nous-mêmes s'appliquerait-il à un étranger ? Pourquoi un étranger arrivant sur notre territoire aurait-il d'emblée moins de garanties qu'une personne accusée d'un crime ? L'article 1er de la Constitution ne précise-t-il pas que la France assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion ?
Propos recueillis par H.D