KABOUL (AP) — Hekmatullah n'ira pas voter lors des prochaines élections législatives du 18 septembre en Afghanistan. "Je ne veux pas risquer ma vie pour rien", confie ce commerçant de Kandahar (sud). Des propos qui traduisent le désenchantement et les craintes de nombre de ses compatriotes. Le scrutin de septembre, estiment-ils, est joué d'avance, après l'élection présidentielle de l'an dernier marquée par des fraudes de grande ampleur.
Partout en Afghanistan, l'insurrection a gagné du terrain. "Nous ne savons pas si nous serons en vie demain et vous parlez d'élection?", s'étonne Abdul Jabbar Aghnozada, un agriculteur de la région d'Arghandab, au nord de Kandahar, où les combats sont violents.
"Je ne sais pas pourquoi ils s'embêtent à organiser des élections, alors que le gouvernement ne peut rien faire pour notre sécurité". Et les talibans sont trop puissants dans la région pour songer à aller voter, ajoute-t-il.
Selon la Fondation afghane pour des élections libres et équitables, des candidats ont renoncé à faire campagne dans les provinces de Kandahar (sud) et Paktia (est) en raison des risques. De plus, "la perception des choses dans certaines provinces est que les vainqueurs du scrutin ont déjà été désignés par les responsables locaux", explique Nader Nadery, le directeur de la Fondation. D'autres candidats, ajoute-t-il, détournent des fonds ou ressources publiques pour leur campagne, sans être sanctionnés.
Dans la capitale Kaboul, relativement plus sûre, certains ne voient pas non plus l'intérêt d'aller voter. "Il y a trop de corruption", estime Mabubullah Ayubi, gérant d'un restaurant. "Tous les gens sur les affiches, ce sont des chefs de guerre", lance-t-il. Le Parlement n'a pas fait grand-chose depuis cinq ans et les bureaux de vote risquent en outre d'être la cible d'attentats, fait valoir le restaurateur.
Il se montre sceptique quant à la possibilité de réformes. "Pas la peine de remonter à cinq ans, il suffit de voir l'élection présidentielle de l'an dernier. Il y a eu trop de fraudes".
Les prochaines législatives, destinées à désigner 249 députés parmi plus de 2.500 candidats, ne "seront pas parfaites", convient le représentant des Nations unies en Afghanistan, Staffan de Mistura. "Ce ne sont pas les élections qu'on verrait dans des pays qui ne sont pas confrontés aux mêmes défis. Mais elles seront meilleures", veut croire le diplomate suédois.
La Commission électorale indépendante, à ces fins, a rayé des listes quelque 6.000 employés de bureaux de vote, en raison de leur inexpérience ou de fautes professionnelles lors de la présidentielle d'août 2009. Les responsables électoraux prêteront serment sur le Coran et seront affectés à des bureaux différents que lors de la présidentielle, poursuit Fazel Ahmaf Manawi, président de la Commission. "Nous avons beaucoup appris de l'élection de l'an dernier", assure-t-il.
Hekmatullah, le vendeur de cosmétiques de Kandahar, n'en est pas convaincu. "Rien n'a changé. Ici, les talibans sont toujours en place, alors je suis sûr que ce sera dangereux de voter. Et ça ne sera pas équitable", avoue celui qui, comme beaucoup d'Afghans, n'utilise qu'un nom.
Les responsables électoraux espèrent mettre en place pour les législatives 5.897 points de vote dans tout le pays. L'armée et la police promettaient initialement d'en sécuriser 6.835, mais la commission électorale les a persuadées de revenir à un chiffre plus raisonnable, selon M. Manawi. "Les forces de sécurité essaient toujours de présenter la situation de façon plus favorable qu'elle ne l'est vraiment. Ils ne voyaient pas la réalité", note-t-il. AP