AFGHANISTAN •
Les talibans lanceLes talibans lancent une opération séduction
Au nord de Kaboul, un décret des rebelles sur le coût des mariages ravit la population. La légitimité des insurgés s’en trouve renforcée.
16.09.2010 | Habiburrahman Ibrahimi | Asia Times Online
Arrosant ses champs de grenadiers, Abdullah, 27 ans, chantonne. La raison de cette bonne humeur ? Après des années de difficultés financières, il va enfin pouvoir se marier. Il y a trois ans, il a loué ses terres pour obtenir les 5 000 dollars [3 900 euros] dont il avait besoin pour payer sa cérémonie de fiançailles. Ce qui le laissa sans le sou pour payer le mariage lui-même. Parti en Iran en quête de travail, il fut arrêté et emprisonné avant d’être expulsé. Si c’en est aujourd’hui terminé de ses soucis d’argent, c’est grâce à un décret local des talibans qui limite le coût des mariages. “Par la grâce de Dieu, les talibans ont imposé un nouveau règlement plafonnant la dot [payée par le fiancé à sa future épouse] à 3 800 dollars [2 979 euros], explique-t-il. Désormais, mon beau-père ne peut plus me demander une somme faramineuse, car cet arrêté des talibans n’a rien à voir avec ceux du gouvernement Karzai : c’est un ordre strict, que personne ne peut enfreindre.”
En Afghanistan, le marié doit verser de l’argent à la famille de l’épousée, la somme étant généralement comprise entre 2 000 et 20 000 dollars [entre 1 560 et 15 600 euros]. C’est aussi la famille du fiancé qui doit payer les cérémonies de fiançailles et de mariage, qui coûtent souvent 4 000 à 5 000 dollars chacune [3 100 à 3 900 euros], des sommes difficiles à réunir dans cette société sans le sou. L’arrêté des talibans, pris il y a deux mois environ dans le district de Tagab, au nord de Kaboul, témoigne de la présence croissante du mouvement extrémiste dans des zones qui, encore récemment, étaient jugées sûres. Les talibans cherchent à y asseoir leur légitimité en proposant leur version islamique de justice et de gouvernement, contre celle du gouvernement soutenu par les Occidentaux.
Outre le plafonnement de la dot pour l’épouse à 3 800 dollars (les contrevenants s’exposent à 2 000 dollars d’amende), les talibans ont également interdit d’autres pratiques onéreuses qui accompagnent le mariage, notamment la coutume qui voulait que jusqu’à 50 personnes se rendent dans la famille de la mariée pour recevoir produits de bouche et autres cadeaux. “Dans la région de Sifder, une famille a décidé d’apporter des cadeaux aux parents de la fille pour le Shab-e-Barat [fête musulmane, qui a eu lieu le 26 juillet cette année], raconte Mohammad Idris, un habitant de Tagab. Ils avaient apporté un gros mouton bien gras, mais les talibans les ont arrêtés en chemin, ont tué l’animal, les ont condamnés à une amende de 50 dollars [39 euros] et leur ont dit de rentrer chez eux manger leur mouton.” Pour Abdul Hakim Akhundzada, à la tête du gouvernement local dans le district de Tagab, même si la décision des talibans n’est pas strictement conforme à la charia, modérer ces pratiques traditionnelles excessives a des avantages. “Je suis moi-même convaincu que c’est une bonne chose d’éliminer certaines coutumes superflues qui sont source de problèmes pour les gens”, explique-t-il. Mohammad Akbar, théologien, confirme que la loi islamique ne prescrit aucun plafond pour la dot. “La somme plancher, en revanche, est selon l’islam de 10 dirhams, soit 150 dollars [117 euros]. Mais il n’y a pas de plafond. Il n’y a pas péché si les deux familles se mettent d’accord sur une somme plus élevée, mais l’argent devrait être donné à la fille, pas à sa famille.” Sous couvert de l’anonymat, un représentant des talibans à Tagab précise que la décision a été prise après consultation de divers chefs religieux.
Habibullah Rafai, spécialiste des questions politiques et sociales, est convaincu que c’était là une tactique pour gagner les faveurs de l’opinion. “Les talibans veulent gagner le soutien des jeunes hommes célibataires et, ainsi, conquérir les cœurs.” L’arrêté des talibans aurait pu être contrecarré, précise Habibullah Rafai, si le gouvernement afghan avait pris l’initiative de réprimer les traditions inutiles. Car, pour certains Afghans, le prix d’un mariage est tel qu’ils ne peuvent jamais trouver de femme. C’est le cas d’Abdul Ahmad, 70 ans : après la mort de son père, il a dû élever ses frères et sœurs et, quand ces derniers ont atteint l’âge adulte, il avait dépassé l’âge de se marier. Abdul Ahmad vit depuis chez son frère, mais ce n’est pas chez lui. “Pour moi, c’est terminé, mais faisons en sorte que les jeunes d’aujourd’hui concrétisent leurs rêves. Je regrette qu’il n’y ait pas eu les mêmes talibans de mon temps.”