Le restaurant affiche complet ce vendredi soir. Il faudra patienter quelques instants pour voir une table se libérer. En ce jour chômé, les Afghans de Herat (ouest) sont de sortie. Alors que la majeure partie du pays se couche en même temps que le soleil, la deuxième ville la plus importante d’Afghanistan profite de la soirée. Le climat est agréable, la circulation fluide. Les forces afghanes sont discrètes. On croise quelques policiers postés aux différentes entrées de la ville, «le zèle du nouveau chef de la police nommé récemment», glisse un habitant.Hormis cet indice, rien ne vient troubler l’étonnant sentiment de sécurité. Les attaques talibanes sont rares. L’an dernier, seuls 14 incidents ont été recensés à Herat. «Par rapport aux autres grandes villes, c’est très peu», confie une source sécuritaire. Et l’armée, en charge de la sécurité depuis deux ans, n’a pas subi d’attaque spectaculaire. «Qu’il n’y ait pas d’attaque ne signifie pas qu’il n’y a pas de groupes d’opposition armés. Chacun reste dans sa zone. La route de l’aéroport est régulièrement ciblée, mais les poches talibanes ne menacent pas la capitale provinciale», relate ce responsable de la sécurité.Figure clé. L’ouest de l’Afghanistan constitue donc l’une des dernières bulles relativement sécurisée du pays. Herat le doit en partie à un homme : l’ancien chef de guerre et ex-gouverneur de la province Ismail Khan. Le «Lion de Herat», comme on le surnomme, combattant durant l’occupation soviétique, est la figure clé de la région. Nommé ministre de l’Energie du gouvernement afghan en 2005, son influence dans sa ville natale depuis la chute du régime taliban ne se dément pas. Ce n’est pas un hasard si une quarantaine «seulement» de soldats de la coalition ont été tués dans la zone depuis le début de l’intervention militaire en 2001. Rien à voir avec les centaines de soldats étrangers qui ont perdu la vie dans les provinces du sud et l’est du pays.Mais l’influence du vieux chef de guerre s’étend bien au-delà. «Un cercle vertueux s’est mis en place à Herat», estime Massoud Juya, le directeur d’une université privée dans la ville.«La population est plus éduquée que dans le reste du pays, donc la province est plus riche. La conséquence directe, c’est que les gens ne veulent pas des talibans», assure cet homme à l’anglais impeccable. Selon les chiffres officiels datant de 2012, 52% des enfants entre 6 et 12 ans sont scolarisés, contre 46% au niveau national.Si les restaurants sont bien remplis, c’est certes que la sécurité est assurée, mais c’est surtout que certains en tirent des bénéfices. La province de Herat, avec moins de 2 millions d’habitants, pèse pour plus de 20% dans le PIB de l’Afghanistan. L’aspect géographique est mis en avant par Hamidullah Khamem, le président de la chambre de commerce de Herat. «Notre région est située à la frontière avec l’Iran et le Turkménistan qui sont des partenaires importants de l’Afghanistan. Notre province profite des facilités de commerces avec ces deux voisins», résume Khamem, lui-même homme d’affaires. Un argument repris par l’Aisa, l’agence nationale de soutien à l’investissement. «Le climat d’affaires est très bon à Herat. Les investisseurs savent qu’ils peuvent financer des projets. Des entreprises hératies sont connues au niveau national et même en Asie centrale. Donc cela crée un dynamisme évident», vante Maiwand Mangal, l’un des directeurs d’Aisa, de passage dans la capitale provinciale à l’occasion de la première foire industrielle organisée dans la ville. Pas moins de 90 entreprises ont répondu présent à l’invitation lancée par l’agence d’investissements, en coopération avec la chambre de commerce.Sodas. Parmi elles, Pamir Cola, la société leader de la distribution de boissons - non alcoolisées évidemment. Son usine est située à une vingtaine de kilomètres du centre-ville dans une zone industrielle. Une zone imaginée par Ismael Khan qui l’a fait naître en 2003. Sur plus de 2 kilomètres, en face de l’aéroport de Herat, camions, conteneurs et entrepôts s’alignent de manière très ordonnée. De grands murs blancs surmontés d’un grillage protègent l’unique unité de production de la compagnie. Pas moins de 2 000 personnes sont employées sur le site afin de produire sodas, eaux et jus de fruits en tout genre. «Il y a 800 personnes qui travaillent le matin. Elles sont relayées par 800 autres personnes l’après-midi. Et nous employons aussi des personnels administratifs»,rapporte Alaudin Bahaduri, le manager de la société, en nous faisant visiter les locaux.Le rythme est étourdissant. Les bouteilles se remplissent en cadence. A chaque étape, des salariés contrôlent les produits : «6 000 bouteilles et 12 000 canettes sortent chaque heure, avance fièrement Alaudin Bahaduri. Cela nous permet de vendre en Afghanistan, mais aussi dans toute l’Asie centrale.» Impossible de connaître le chiffre d’affaires total de l’un des concurrents locaux de Coca-Cola, mais Toryalay Chawsi, son directeur, rencontré lors de la foire industrielle, assure qu’il est en hausse de 10% chaque année. Ce qui en fait l’une des entreprises les plus dynamiques de la région, «voire du pays», ajoute avec un sourire le directeur.Une progression à faire pâlir bon nombre d’investisseurs. «Nous comptons poursuivre notre développement. Nous avons confiance dans l’avenir», explique le directeur de Pamir Cola. Même si Ismail Khan a affirmé, lui, fin 2012 dans une interview à une chaîne locale, être en train de réarmer ses hommes. L’objectif ? Eviter le retour que tout le monde redoute, celui des talibans.