Thierno Diallo, cousin de Nafissatou Diallo
«Si Nafi avait eu les yeux bleus ou verts et si elle avait été Américaine, il y aurait eu une suite, cela ne fait aucun doute! On ne l’aurait pas jetée comme ça à la poubelle! Mais pour les initiés, pas de surprise. Benjamin Brafman (VIDEO), l’avocat de DSK, avait dit dès le 22 mai depuis Jérusalem, qu’il n’y aurait pas de suites à l’affaire. Nafissatou a menti pour les papiers il y a plus de dix ans. Tous les immigrés le font. Cela n’a rien à voir avec le viol. Maintenant, quelqu’un qui ment une fois dans sa vie peut être agressé, c’est lui qui n’est pas crédible! DSK va pouvoir devenir Premier ministre en France sans problème... J’y mettrai ma main au feu. Le voilà qui joue déjà la carte du grand économiste, sollicité partout sur la crise... Je suis dégoûté!»
Blake Diallo, Sénégalais installé à New York, gérant du Café 2115 à Harlem, ami proche de Nafissatou Diallo
«Si elle avait eu les yeux bleus et les cheveux blonds, tout aurait été très différent! C’est l’impression qu’a toute la communauté africaine a ici à New York! Le procureur n’a pas fait ce qu’il fallait faire. Si elle avait été blanche et juive, elle n’aurait pas eu ce genre de traitement. Chacun a le droit à un jugement devant un jury dans un pays de droit. Le procureur ne lui a pas donné cette chance, et ses raisons ne tiennent pas. Mentir sur des dossiers d’immigration n’a rien à voir avec les faits, avec ce qu'il s’est passé dans cette chambre d’hôtel. Cyrus Vance a refusé un procès à une femme, une soeur, une mère. C’est la défaite de toutes les femmes du monde, et c’est ce que crient les organisations féministes de New York. Nafi reste mon amie. Hier soir encore (le 25 août, ndlr), nous avons discuté longuement. Elle n’est pas bien, évidemment. Elle est très étonnée. Comme toujours, je lui dis de ne pas baisser les bras et de croire en elle-même.»
«Elle n’a rien fait de mal. Le procureur a fait ce qu’il voulait faire, je ne sais pas au nom de quoi. Il lui a soutiré ses vérités. C’est de l’abus, ce qu’il a fait, croyez-moi! Il n’a pas voulu que Nafissatou aille au procès, alors qu’il y a des arguments à faire valoir. Ils ne veulent pas que ces arguments prennent forme. C’est la sanction finale, qui a sans doute quelque chose à voir avec la taille, la mesure de l’homme, l’agenda de DSK. On ne va pas le retenir à New York pour des affaires de fesses! Tout le lobby juif est derrière: ils veulent le pousser à prendre la direction de la France. Les intérêts sont beaucoup plus importants que les gens ne le pensent…»
Tierno Monénembo, écrivain guinéen installé en France, prix Renaudot en 2008 pour Le roi de Kahel (Seuil):
«Il n’y a pas que la couleur des yeux ou des cheveux, mais aussi la richesse et le milieu social qui jouent. Nafissatou Diallo n’a pas les armes pour se défendre. Elle n’est pas plus coupable que DSK, un homme coupable de partout, depuis toujours. Soyons honnêtes: voici des gens au despotisme éclairé, qui ont tout pour eux, qui envisagent le pouvoir comme le règne du bling-bling et du bounga-bounga, avec l’idée que toutes les femmes du monde leur appartiennent… Le plus grave, c’est qu’il n’y a personne en France pour réagir. Avant, il y avait au moins les communistes, les gauchistes. Aujourd’hui, il n’y a plus personne en face.»
Les relents racistes et machistes
Rokhaya Diallo, Française d’origine sénégalaise, chroniqueuse pour Canal Plus, fondatrice en 2006 de l’association les Indivisibles, qui décerne chaque année les Y’a bon Awards. Auteure en 2011 de Racisme, mode d’emploi (Editions Larousse) et co-signataire d’un ouvrage collectif, avec la journaliste Audrey Pulvar et d'autres femmes, sur l'affaire DSK, Un troussage de domestique, à paraître le 15 septembre aux Editions Syllepse.
«La mise en doute de la parole des femmes qui portent des accusations de viol a quelque chose de systématique. Elle ne dépend pas de leur couleur. Il est vrai, cependant, qu’on n’aurait pas fouillé de la même manière dans le passé de Nafissatou Diallo si elle n’avait pas été une immigrante. On n’aurait pas non plus créé le mythe de la brave femme qui a traversé l’Atlantique dans l’espoir d’une vie meilleure. Quitte à fabriquer une icône idéale ensuite tombée de son piédestal, parce que la vraie Nafissatou n’y correspondait pas. Elle a ensuite été traitée de prostituée et prise au piège des poncifs sexistes, qui veulent que les victimes de viols soient irréprochables, totalement innocentes. Aux Etats-Unis, elle a bénéficié d’une solidarité ethno-raciale intéressante à observer. En France, je suis étonnée par les réactions des cadres du Parti socialiste (PS), qui se réjouissent du fait que DSK ait été blanchi, alors qu’il ne l’est pas du tout. Je suis étonnée de la légèreté avec laquelle on traite une affaire criminelle. Il y a comme une absence de conscience sur la gravité d’un viol, une atteinte à l'intégrité physique d'une personne.»
Sanaba Coné Camara, Guinéenne installée en France, co-fondatrice du comité de soutien Justice pour Nafissatou Diallo
«Nous ne nous posons pas la question en ces termes, pour ne pas rentrer dans le schéma noir-blanc. Beaucoup de femmes blanches, noires et jaunes sont agressées sexuellement et ont les mêmes problèmes que Nafissatou. Dans cette affaire, rappelons qu’elle n’a pas été la seule à mentir. DSK a d’abord nié tout contact avec elle, c’était un mensonge aussi. Il a fallu que ses avocats reviennent là-dessus, pour dire que c’était une relation consentie. Les tabloïds ont fouillé la vie de Nafissatou, mais pas celle de DSK. Pourtant, les deux ne sont pas comparables! Il n’y a pas eu de justice, et je me sens très amère. Je suis amère pour ma soeur, qui n’a pas eu de chance. Elle est d’abord tombée sur des avocats véreux qui l’ont obligée à mentir pour avoir ses papiers. Et puis sur un autre avocat, Kenneth Thompson, qui la prend pour une bête de foire et qui pense à sa carrière plutôt qu’à la défense de sa cliente.»
Colère et amertume
Nabbie Soumah, juriste et anthropologue d’origine guinéenne, installée en France, membre du comité de soutien Justice pour Nafissatou Diallo:
«En fait, elle n’a pas la chance d’être une noire Américaine. Ce procès me rappelle l’affaire Orenthal James «0.J.» Simpson (un ancien footballeur professionnel et acteur africain-américain accusé d'avoir assassiné son ex-épouse et le compagnon de celle-ci en 1994, avant d’être acquitté au pénal un an plus tard, puis reconnu coupable au civil en 1997, ndlr). Là aussi, l’affaire n’avait pas été jugée sur le fond, mais sur les positions de policiers accusés d’être racistes – trois ans après les émeutes raciales de Los Angeles. O.J. Simpson avait été «blanchi», si je peux m’exprimer ainsi, avec l’aide de Benjamin Brafman parmi ses avocats, à cause d’un détective blanc de la police de Los Angeles qui tenait des propos racistes et qui a été accusé d’avoir déposé des éléments incriminants pour l’accusé sur la scène du crime. On s’est focalisé sur les dépositions d’un policier et son usage du mot «nigger», pour mettre en doute sa crédibilité. Là aussi, on a mis en doute la crédibilité de Nafissatou Diallo, bien qu’elle ait menti sur des éléments qui n’ont rien à voir avec l’affaire. O.J. Simpson était un bourgeois qui ne s’intéressait pas aux conditions des Noirs, mais il a incarné le Noir qu’on cherche à abattre. Nafissatou, même si elle avait été grande et belle comme une Suédoise, n’aurait pas été plus avancée. Si elle avait été Américaine, le dénouement aurait été tout autre.»
Mamadou Niang, journaliste sénégalais, ancien producteur du bureau de France 2 à New York, à la tête de la société de production, Next Media, basée à New York:
«C’est plutôt la classe et la nationalité qui posent problème, et non le fait qu’elle soit noire. Au contraire, être une noire américaine aurait beaucoup plus joué en sa faveur dans l’appréciation du procureur. Il est indéniable que ses origines ethniques, sa nationalité guinéenne ont pesé énormément. S’il fallait fouiller dans les dossiers des immigrés, qu’ils soient Africains, Mexicains, Asiatiques, on se rendrait compte que dans 70% des cas, les gens sont obligés de mentir parce que ça paye. Sur un plan plus général, la question fondamentale est celle-ci: quelle confiance, quelle audace auront les femmes à attirer l’attention sur leur sort quand elles seront victimes de violences sexuelles?»
«En fait, la question raciale se pose plus en France qu’ici à New York, parce que le camp DSK s’en est servi, sur le mode: un homme blanc et riche a été lynché parce que cette Amérique bien pensante et moralisante a jugé bon de punir le blanc sur l’accusation de la noire déshéritée et pauvre. J’ai d’ailleurs lu une tribune du grand philosophe Pascal Bruckner dans Le Monde, qui dénonçait le 24 août cette Amérique moralisante, avec sa justice en panne, etc. Alors qu’au début de l’affaire, il a dit tout le contraire: il racontait que chaque fois qu’il rencontrait les femmes du Parti socialiste (PS), il leur faisait savoir que ce type n’appartenait pas à l’Elysée mais plutôt aux psychiatres... C’est tellement français, ce revirement incompréhensible! Ici, l’affaire est finie, terminée. C’est un peu désolant. Le camp de Nafissatou Diallo n’a pas été préparé à ce monumental déballage. Le document du procureur ressemble à du travail bien fait, qui a l’air de clore le débat. Du moins pour l’instant, en attendant d’éventuels rebondissements.»
Sabine Cessou