Charlie hebdo : le coup de poing du pape
En France, Charlie Hebdo s'arrache dans les kiosques. Mais ça n’est pas le cas partout. Mercredi, dans le monde musulman, hier par la voix du Pape : ceux qui croient restent choqués. Pas de quoi s’alarmer. Le contraire aurait dérangé Charb et sa bande.
Mercredi, jour de Charlie, mais pas dans le monde arabe. Tout le monde a regardé le monde musulman accueillir le numéro exceptionnel de Charlie avec crainte et colère, regrettant les caricatures qui y étaient à nouveau dessinées. Les leaders de la mosquée d’Al Azhar ont repris la parole pour dire que faire du mal aux religions n’est pas bien et pour demander de ne pas faire de publicité pour ce genre de publication.
Tout est dit. En tant que croyant, ca choque les imams tolérants et au fond, ils regrettent l'impact que les attentats ont donné au journal satirique. Charlie, qui n'était pas lu et à peine connu dans le monde arabe, va attirer des curieux qui vont aller voir sur internet à quoi ça ressemble et ainsi le nombre de personnes choquées va augmenter. Ils le regrettent, ils préfèreraient qu'on ne caricature pas le prophète, mais ça ne justifie pas pour autant un appel à la violence. Evidemment pas.
Est-ce le signe que l'Islam est plus sourcilleux que les autres ? Non. Pour preuve, les déclarations du Pape, sans doute le plus libéral depuis des décennies. Le pape roi de la com', capable de trouver les mots justes comme sur les homosexuels ("qui suis-je pour les condamner ?"), a sans doute dérapé. "Si on parle mal de ma mère, je mets un coup de poing, c’est normal", dit le pape ! Sur le ton de la blague. "La liberté d'expression est un "droit fondamental" mais on ne peut provoquer, on ne peut insulter la foi des autres, on ne peut la tourner en dérision".
La référence à un acte violent, un coup de poing, est regrettable. Même si "ti do un pugno" est une phrase de cour d’école, de gamins qui jouent aux hommes. Y voir une légitimation de la violence n’est pas sérieux. Mais l’idée est là. Les caricatures dans Charlie ? Le pape n’aime pas ça lui non plus, pas plus que des millions de chrétiens que Charlie Hebdo a copieusement caricaturés, provoqués, moqués au cours des décennies passées.
C'est ainsi. On ne peut pas demander à des gens pour qui certaines choses sont sacrées d’applaudir quand elles sont grassement caricaturées. La liberté d'expression, ce n'est pas l'uniformité des sensibilités. Les opinions de Charlie Hebdo, son style, ses choix, n'ont pas vocation à devenir une norme. L’athéisme de Charlie n’est pas la laïcité. Défendre la liberté de ce journal contre ceux qui l'attaque ce n'est pas vouloir être lui. Voltaire écrivait "je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous puissiez le dire". N’oublions pas le début de la phrase "je ne suis pas d'accord"...
Il ne faut pas qu'il y ait de malentendu sur "Je suis Charlie". "Je suis Charlie" est un slogan de défense et de solidarité. Il renvoie aux rafles. Quand, par exemple, pendant l'occupation, les nazis demandaient "qui est juif ?", on a vu des assemblées entières se lever comme un seul homme. Manière de dire "si vous en arrêtez un, il faudra tous nous arrêter".C'était l'esprit de résistance. Juif quand on s’en prend aux juifs ; noir quand on s’en prend aux noirs ; musulmans quand on s’en prend aux musulmans ; tous ensemble parce qu’on s’en prend aux libertés.
Cet esprit a soufflé partout dimanche dernier, en Europe comme dans le monde arabe. Chez les athées, les chrétiens, les musulmans, partout où il y avait des hommes et des femmes tolérants. C'est ça "Je suis Charlie" : la résistance. Ce n'est pas et ça ne peut pas être l'uniformité des convictions et des croyances. Ça ne peut pas et, d’ailleurs, Charlie est tout le contraire de ça...