Afghanistan : nous devons avant tout à nos soldats une stratégie gagnante Par Richard Cazenave,
vendredi 22 août 2008 à 12:38 :: International
:: permalien #382
Autant le dire clairement, je pense que la stratégie de l'OTAN en Afghanistan nous amène dans le mur.
Les ingrédients de l'échec sont en place depuis plusieurs années.
-> Premièrement, comme je l'avais dit à l'automne 2001 à New York à l'Ambassadeur des États-Unis auprès de l'ONU,
[1] la seule stratégie possible pour les forces dites occidentales eût été de
donner
dès le départ les moyens politiques et les appuis militaires à la seule
force anti-taliban qui existait dans le pays : l'Alliance du Nord,
qui s'était ouverte aux composantes pachtounes. Sept ans après, l'armée
afghane compte moins de 60 000 hommes, est mal équipée, et est formée
selon des méthodes éloignées de sa culture et de son histoire. Quant
aux forces de l'OTAN, elles représentent aujourd'hui 70 000 soldats
quand l'armée soviétique, forte de 250 000 hommes, a dû se résoudre à
constater son échec à tenir le terrain.
Le pire, c'est qu'Obama et McCain, qui veulent faire de ce pays le
« centre de la guerre contre le terrorisme »et qui proposent d'envoyer 10 000 soldats supplémentaires, ne semblent
toujours pas, ni l'un ni l'autre, avoir compris que cette stratégie
était vouée à l'échec...
-> Deuxièmement, la solution Karzaï comme Président, qui a été
formé et qui a vécu aux États-Unis, a été imposée à l'ensemble des
chefs et des tribus afghans, qui s'y sont résignés dans l'espoir qu'une
manne économique accompagnerait ce choix politique. Or l'effort
occidental en Afghanistan est resté négligeable au regard des enjeux
pourtant considérables et des moyens qui auraient été nécessaires pour
gagner sur ce front économique et social.
L'aide économique en Afghanistan représente 1% seulement des dépenses militaires engagées en Irak par les Américains,
alors que le vrai front anti-terroriste se jouait dans les campagnes
afghanes. Il aurait fallu au contraire mettre le paquet dès le début.
Et la manne attendue n'arrivant pas, le vide économique et politique
des campagnes de l'Est et du Sud du pays a été assez facilement
réinvesti par les Taliban, dont l'organisation parallèle est de fait
acceptée par tous les ruraux de ces zones.
On peut dire aujourd'hui que les populations afghanes ont retrouvé, au-delà des sourires de façade adressés à nos soldats, un
anti-occidentalisme de base qui en fait des alliés objectifs des Taliban.
-> Troisièmement, la situation politique au Pakistan n'était déjà
pas brillante en 2001 ; elle est pire aujourd'hui avec l'assassinat de
Benazir Butho et la démission de Pervez Musharaf, avec une coalition
dont les membres sont en désaccord sur tout, notamment sur la lutte
anti-terroriste. Elle laisse ainsi les rênes lâches sur le cou de
l'armée pakistanaise et des services secrets. L'armée, obsédée par le
risque Indien, considère l'Afghanistan comme un élément de "profondeur
stratégique". En clair,
l'armée pakistanaise ne veut pas d'un pouvoir politique afghan à Kaboul qui ne soit pas directement à sa main ; par conséquent les Taliban continuent de bénéficier objectivement de leur soutien.
En conclusion, la stratégie de l'OTAN doit être révisée, et ses objectifs fixés de façon réaliste.
- La reconstruction d'un État sur l'ensemble du territoire afghan est
aujourd'hui un objectif impossible à atteindre. En tout état de cause,
il serait suicidaire pour l'OTAN de vouloir remplacer l'État et l'armée
afghane dans les zones du pays où est en train de se cristalliser
l'anti-occidentalisme.
- Pour ces mêmes raisons, et à cause de l'attitude pakistanaise, la
destruction de tous les foyers terroristes est aussi un objectif
impossible à atteindre. Que l'on songe que nul n'a pu jusqu'ici déloger
Ben Laden de son repère dans les zones tribales de l'Ouest pakistanais,
proches de la frontière afghane. Cela ne signifie pas retirer toutes nos troupes d'Afghanistan, mais leur fixer des missions différentes,
et en aucun cas leur donner mission de "tenir" des territoires avec des
troupes à pied - qui plus est dans les conditions discutables de
l'opération de Saroubi[3] - dans un pays où tout, de la géographie à l'histoire et aux traditions, nous est défavorable. Cela ne signifie pas non plus renoncer à la lutte contre le terrorisme, mais là encore le combattre plus efficacement.
Des actions de forces peuvent être organisées selon les besoins
stratégiques ; des raids aériens peuvent être conduits sur des bases
d'entraînement de terroristes qui se reconstitueraient.
- La question politique pakistanaise ne peut pas être évacuée ou laissée en-dehors du champ des discussions.
C'est à la lumière de ces trois constatations
incontournables que la stratégie de l'OTAN doit impérativement être
clarifiée et redéfinie. Par ailleurs, si des moyens
supplémentaires doivent être donnés, ils doivent l'être au profit de la
formation et de l'équipement de l'armée afghane qui doit être portée à
150 000 hommes au minimum. C'est ce que la France a tenté de plaider
jusqu'ici, peut-être trop timidement. Il ne s'agit pas de tourner les
talons, comme le demandent certains leaders politiques de gauche ou
d'extrême gauche, car en effet c'est bien là que se joue une partie de
notre liberté et de notre sécurité ; mais il s'agit d'intervenir avec
lucidité et efficacité si l'on ne veut pas offrir aux Taliban de
nouvelles victoires médiatiques aux dépends des vies des soldats de
l'OTAN.