La politique américaine en Afghanistan peut se résumer ainsi : les Etats-Unis souhaitent se retirer, mais après avoir affaibli les plus durs des talibans pour laisser un espace de négociation aux talibans modérés. Hamid Karzai, le président afghan, a également souligné la nécessité d’associer les talibans à la gestion du pays. Les Saoudiens auraient même organisé des pourparlers secrets entre des représentants de Karzai, des chefs talibans et des Américains [ils auraient eu lieu à Dubaï en janvier, mais les talibans ont démenti l’information]. Les islamistes ont déclaré qu’ils souhaitaient être en bons termes avec leurs voisins une fois qu’ils seraient revenus au pouvoir.
Deux problèmes demeurent pourtant. Tout d’abord, les talibans n’ont pour le moment pas manifesté leur intention de participer au gouvernement Karzai. En second lieu, on se retrouve avec un paradoxe que les talibans ne comprennent que trop bien. Si les Etats-Unis en viennent à leur parler, c’est parce qu’ils n’ont pas été capables de les vaincre. Que feraient-ils si les talibans déposaient les armes, se privant ainsi de la capacité de mener une rébellion efficace ? Il ne suffira pas de leur garantir la sécurité et celle de leur famille, il faudra davantage.
Se pose ensuite la question du rôle du Pakistan. Dans quelle mesure le gouvernement pakistanais est-il prêt à aider Washington ? Le Pakistan souhaite-t-il que les talibans ne soient qu’un élément de la coalition gouvernementale actuelle ou qu’ils aient une position dominante ? On peut aussi se demander si le Pakistan sera en mesure, en tant qu’intermédiaire entre les Etats-Unis et les talibans, d’amener ces derniers à renoncer à leur désir de “tout” prendre. Compte tenu de leur fondamentalisme médiéval, on peut également se demander si les islamistes accepteront les institutions démocratiques occidentales. Il faudrait pour cela qu’ils deviennent une entité politique susceptible de séduire le peuple. Et, à supposer qu’ils en aient l’intention, en auraient-ils la capacité ?
Partons donc du principe que les Etats-Unis acceptent d’accorder une grande place aux talibans. Comment les autres groupes ethniques, et surtout les Tadjiks et les Hazaras, réagiront-ils ? L’armée et la police afghanes sont dominées par ces groupes ethniques minoritaires. En huit ans, ceux-ci ont par ailleurs augmenté leur capacité de réaction. Si la situation dégénère, les choses risquent très probablement d’être bien pires que ce qu’on a vu pendant les années 1990. Les Américains en sont bien conscients, et c’est pour cela qu’ils voudraient, avant de quitter le territoire afghan, que l’Afghanistan se dote d’une sorte de gouvernement de consensus. Il faut cependant qu’ils continuent à développer le potentiel de combat des seules forces nationales qu’ils sont parvenus à mettre sur pied, des forces qui ne comptent pas beaucoup de Pachtounes [qui sont par contre majoritaires chez les talibans].
L’attitude anti-indienne du pakistan est inquiétante
Pour le Pakistan, la présence indienne en Afghanistan constitue un facteur important. Les Indiens déclarent ne fournir à ce pays qu’une aide au développement, mais le Pakistan n’est pas de cet avis et voudrait que l’Afghanistan soit purgé du facteur indien. Ce qui, sans nécessairement améliorer significativement son image auprès des talibans, affaiblit ses capacités de négociation avec les autres groupes afghans. Rien n’indique que le Pakistan tente de remettre les choses en perspective ou de repenser sa gestion du facteur indien en Afghanistan. L’Inde construit des routes, des hôpitaux, des écoles, finance des projets de développement et fournit des médicaments. On ne peut donc rien lui reprocher.
C’est aussi à cause de l’attitude anti-indienne d’Islamabad que les Etats-Unis hésitent à fournir au Pakistan des armes qui pourraient être utilisées contre son voisin. Pourtant, lors de sa visite au Pakistan, le 22 janvier, Robert Gates, le ministre de la Défense américain, aurait évoqué la fourniture de douze avions sans pilote RQ-7 Shadow. Ces appareils sont destinés à des missions de reconnaissance, mais ne sont pas armés. Pour le Pakistan, la meilleure chose à faire serait de peser sérieusement pour faire rentrer les talibans dans le rang.
Au lieu d’essayer de chasser l’Inde d’Afghanistan, le Pakistan doit accepter sa présence et jouer sur l’avantage que lui procure sa propre contiguïté avec l’Afghanistan. Pour l’heure, personne ne sait si Islamabad a commencé à réfléchir sérieusement à cette option.