Yama Membre Extra
Nombre de messages : 548 Age : 41 Localisation : Kharâbât Date d'inscription : 09/10/2012
| Sujet: Dialogue oiseux - La Face d'Allah Lun 14 Mai - 15:08 | |
| ― Tu sais que vous avez des... enfin qu'il y a des choses un peu bizarres dans vos textes... ― Qui « vous » ? et de quels textes parles-tu ? ― Tu n'es pas musulman ? Je parlais du Coran. ― Ah ! Viens-tu me voir parce que je suis « musulman » et... ― Oui, et je voulais te demander quelque chose. ― Tu te trompes ! ― Pardon ? Comment « je me trompe » ? ― Si tu penses être là, en face de moi, parce que je suis musulman et que tu as des questions, tu te trompes oui. ― Mais...je... Je ne vois pas ce que tu veux dire. Pourrais-tu... ― Ce que je veux dire, c'est que tu es là non pas parce que je suis musulman, ni parce que tu as des questions, mais parce que, à l'instant que nous vivons, toi et moi devions nous rencontrer. ― Oui, mais je ne serais pas venu si... ― Toute rencontre, tout événement et toute action ont des raisons d'être qui dépassent en réalité le plan « visible » ; je veux dire que des choses doivent se faire à tel Instant, non pas parce que nous l'aurions voulu, mais parce que l'Instant le veut. Je suis musulman, mais tu sais bien que ce trait relève du monde des apparences, tout comme les motifs que tu assignes à tort à ta présence ici et maintenant. ― Mais... ― Mais ces raisons, je veux dire ces raisons véritables, ne sont pas compréhensibles par tous et toujours ; aussi le mental, l'ego, le nafs imagine-t-il des raisons apparentes qui lui donnent l'illusion de comprendre ceci ou cela. Pourquoi le fait-il ? Parce qu'il ne peut s'avouer faible... ― Tu veux dire que si suis « là », « maintenant » avec toi, c'est parce qu'il doit en être ainsi, indépendamment de toute raison que je pourrais alléguer ? ― Très bien dit. ― Mais... Je ne comprends pas... Pourquoi je... ― Pour m'offrir un café, peut-être. ― Je pensais évoquer une bizarrerie de vos croyances, mais je me retrouve devant une bizarrerie qui me trouble encore plus... Je crois que je vais... ― Si tu es là, maintenant, en face de moi, c'est que nous devions nous rencontrer en cet Instant et être réceptifs afin de savourer que ce le Moment nous offre et non pas pour évoquer la « Face d'Allah ». ― Comment... je...je n'ai rien dit de ce qui m'amenais, comment as-tu su que je voulais te parler de cela ? ― Si tu penses que les choses doivent être nécessairement exprimées pour être comprises, tu te trompes encore, mais c'est normal, passons. ― Bon... puisque je suis là... ― Ce serait bien que tu y sois réellement. ― Pardon ? ― Que tu sois entièrement là, rassemblé, uni, ramassé, si j'ose dire, et fixé pleinement à cet Instant que nous partageons. ― Je vais essayer... Bon ! J'ai entendu dire que Dieu dit je ne sais plus où quelque chose comme « Où que vous tourniez votre visage... ― est la Face d'Allah »? En effet, c'est un verset coranique. Quel est le problème ? ― Ben... Je ne comprends pas... ― Si tu penses qu'en lisant un texte sacré comme tu lis un livre quelconque, tu en comprendras le sens, tu te trompes encore. ― Mais si, je comprends, je suis arabophone et je peux lire le texte en... ― S'il suffisait de maîtriser l'arabe classique pour comprendre le Coran, crois-moi, il y aurait énormément de saints parmi nous... ― Mais... Il faut quoi alors ? Je veux dire... On doit faire... ― Il faut être, et non faire. ― Être ? Être quoi ? ― Confiant, patient, et sincère, peut-être. ― C'est-à-dire ? ― Confiance en Dieu, patience et sincérité dans le cheminement. ― Tu veux dire que je devrais avoir la foi pour comprendre ? ― C'est la condition minimale et absolument nécessaire, même si cela va à l'encontre de tout ce que l'on dit à propos de la compréhension ; l'on peut être un grand érudit, connaître par cœur le Coran et toute la tradition prophétique, on ne comprendra rien qui vaille si on n'a pas ladite Confiance... Car cette Confiance (« foi » veut dire « confiance en Dieu ») est la Clef toute compréhension réelle. Sans cette clef, on restera toujours « dehors », parce que la connaissance en question ne peut en aucun cas être volée. ― D'accord... Peux-tu quand même me dire ce que veut dire le verset cité ? ― L'omniprésence de la Face d'Allah ? ― Oui, ça veut dire quoi cette histoire ? La Face d'Allah est partout ? ― La réponse est contenue dans ce ceci : La ilaha illallah. ― Pardon ? N'est-ce pas la première partie de votre profession de foi ? C'est quoi le rapport avec le verset ? ― Exactement, je me félicite de te savoir un tant soit peu cultivé ! ― Te moques-tu de moi ? ― Que Dieu m'en garde ! Je me moquais de moi-même mon cher. ― Pardon ? ― « Toi » et « moi » nous n'existons pas, nous... ― Pardon ? ― Je reviens à ta question : Le rapport est évident. La profession de foi dit, au fond, que rien n'est sinon Lui, que Lui seul est, Lui Seul (la « science » profane est sur le point de découvrir cette vérité, si ce n'est déjà fait à l'heure où nous parlons, mais il est peu probable qu'elle l'avoue comme il faut). ― Qu'il n'y a que Dieu ? ― En effet. Or, puisqu'il n'y a que Dieu – tout musulman doit admettre cette vérité même s'il n'y comprend rien – il ne peut y avoir « autre chose » que sa Face ; attendu qu'il n'y a qu'un Être, que l’Être est Unique, « le Premier, le Dernier, l'Apparent, le Caché », il ne peut y avoir qu'une seule « face », qu'une seule Présence. Donc quand il est dit que sa Face est dans toute direction où puisse se poser le regard, où quand Abu Bakr le Véridique disait qu'il voyait Allah où qu'il regardât, c'est qu'il n'y a Que Lui. Me suis-tu ? Puisqu'il n'y a que Lui, on ne peut rien voir d'autre en vérité. ― Tu veux dire qu'on voit toujours Dieu, où qu'on regarde ? ― Non, d'abord ce n'est pas « moi » qui le dis, mais Dieu, ensuite je n'ai pas parlé de « nous », Abu Bakr voyait Dieu, mais toi et moi... ― Pourquoi ? ― Parce qu'il y a « toi », ou « moi ». ― Je ne comprends pas là... ― Les gens regardent les choses indirectement, par l'intermédiaire d'une certaine barrière et... ― Une barrière ? Tu veux dire que Dieu est toujours Là, éternellement présent « ici » et « maintenant », mais que l'on ne peut le voir, nous, parce qu'il y a une sorte d'obstacle ? ― Tu parles de mieux en mieux, ne pourrais-tu pas monologuer plutôt ? ― Sois sérieux... C'est quoi cette barrière, cet obstacle ? ― On l'appelle communément Satan (« obstacle »), il est multiple, sournois, changeant ; il ne vient jamais à l'homme en disant « Bonjour mon cher, je suis Satan et je suis là pour t'empêcher de voir Dieu ! » ― Je vois... Mais alors, que pourrait-on faire pour franchir cet obstacle ? ― Je ne sais pas, à toi de voir. ― Allez, s'il te plaît, juste un mot pour... ― Tu es ici, avec moi, en cet instant, et ta pensée a fichu le camp déjà. Tu penses à toi intérieurement, à ta vie, à tes objectifs, à tes souhaits et tu te demandes ce qui a pu constituer des barrières... ― Je reconnais que je me suis un peu égaré, mais c'était pour voir comment faire tomber la barrière justement. ― Il y a des moyens, qui sont connus depuis la nuit des temps. Dieu n'a créé nulle maladie sans en créer le remède aussi, est-il dit dans l'islamisme. La cécité en question est aussi une maladie, et des plus graves, le remède est nécessairement là aussi. Sinon Dieu eût été injuste, cruel, impitoyable. Autrement dit, l'absence de remède eût fait que Dieu n'eût point été Dieu. ― Mais quel est ce moyen ? ― A toi de chercher. ― Mais dis-moi au moins quelque chose qui pourrait... ― Je te l'ai déjà dit, mais tu ne l'as pas saisi parce que tu étais peut-être absent. ― Tu me l'as déjà dit ? Tu as dit quoi ? Répète je t'en prie. ― Être présent, ici et maintenant, dans l'Instant* et tu verras. Peut-être que les moyens en questions se présenteront-ils d'eux-mêmes à toi. ― Tu ne pourrais pas me donner plus d'indications, me dire ce que je devrais faire... ― Te taire ! ― Mais... ― Silence !
*"Soufi ibn'ul waqt bâchad ay rafîq Nêst fardâ goftan az charté tarîq" Rûmi | |
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