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UN RESTAURANT FRANCAIS A KABOUL
Il y a deux façons d'aborder l'Afghanistan en cet été 2004. D'abord, l'inquiétude. Médecins sans frontières a jeté l'éponge après vingt-quatre ans de présence et le meurtre de cinq de ses membres. Puis les petits espoirs de la vie quotidienne, avec le projet incongru et ambitieux de Marc Victor, qui ouvre le premier restaurant français de Kaboul.
Depuis plusieurs semaines, la rumeur bruissait : un cadre enchanteur, une piscine immense, une gastronomie de qualité… Bien sûr, il ne s'agit pas d'une improbable " Restauration sans frontières ", mais d'un vrai restaurant à destination des expatriés travaillant dans la capitale afghane.
Pour le monter, il a fallu un investissement important, environ 60 000 dollars (48 625 euros). Après un an et demi à diriger une ONG à Kaboul, cet ancien journaliste a laissé derrière lui l'humanitaire. Sauf à penser qu'offrir un peu de confort aux âmes déracinées de Kaboul constitue une mission en soi.
L'engouement que l'inauguration VIP a suscité, mercredi 11 août, témoigne en tout cas du désir de nouveauté, dans une ville où les expatriés ont vite fait de se lasser de la cuisine et de l'ambiance des quelques places chinoises, indiennes, thaïlandaises, iraniennes, australiennes, ou même onusienne. " L'Atmosphère " va toutefois devoir faire ses preuves. Assisté par un ami afghan, traducteur patenté, M. Nessar, Marc Victor tâche de s'adapter au tempo local et s'engage à faire travailler des artisans du cru, peu importe la casse.
Ouvrir un restaurant à Kaboul a tout du défi, car la sécurité y est un maître mot. Celle des clients d'abord, celle des aliments ensuite. Pour attirer les fonctionnaires aisés des agences internationales, on ne badine pas : murs surélevés et gardes armés à l'entrée transforment l'endroit en place forte. Mais le problème de la chaîne du froid est tout aussi épineux : comment conserver la fraîcheur des aliments importés quand les coupures de courant sont quotidiennes. Reste d'autres barrières à surmonter, celles des mœurs. A L'Atmosphère, on tente de servir les clients à table avec distinction, alors que la tradition fait s'asseoir les Afghans par terre, autour de nappes en plastique. Bien sûr, il y a les cocktails présentés dans de la verrerie d'Herat et les cigares Romeo y Julieta, le joli comptoir de bois encadrant un bassin poissonneux et les tables éparpillées dans un grand jardin, mais c'est en cuisine que tout se joue. Thomas Cressaty, novice dans la profession, a la responsabilité de donner une touche française aux plats, mais surtout de la transmettre aux deux cuisiniers afghans. Poulpes marinés au barbecue et boulettes de bœuf au roquefort ne font pas encore partie de la culture locale.
Pour accompagner ces mets inattendus, la carte des vins compose avec les moyens du bord. Une certitude cependant, l'alcool sera refusé aux clients afghans. Autre sujet de friction, la piscine. Les expatriées occidentales espèrent bien oublier un peu la rudesse du dehors et s'adonner au farniente en abandonnant les amples tuniques qu'elles sont obligées de porter au quotidien. Mais comment empêcher les plus malins de filouter pour apercevoir ces chairs qui ne se donnent à contempler aujourd'hui que sur un écran, dans les populaires productions indiennes de Bollywood ? Vu de France, L'Atmosphère peut choquer. Mais, à Kaboul, la majorité des expatriés se réjouit de pouvoir s'isoler de la ferveur étouffante de la ville. Et l'entreprise est risquée. Un tel lieu pourrait être visé par un attentat. Et le risque d'une évacuation massive de la communauté expatriée en cas de montée de l'insécurité demeure. La réussite ou l'échec de ce restaurant pourrait ainsi devenir un baromètre alternatif de la situation du pays.