La chanson populaire est de retour en Afghanistan
AFP
Édition du vendredi 30 décembre 2005
Mots clés : Afghanistan (Pays), chanson
Kaboul -- Dévasté par 25 ans de conflits à partir de la fin des années 70, l'Afghanistan achève aujourd'hui sa traversée du désert musical avec le bourgeonnement des radios et télévisions, symbolisé par Afghan Star, qui veut redonner au pays une génération de chanteurs populaires.
Les apprentis chanteurs qui se produisent chaque semaine sur Tolo TV ont un point commun : tous, malgré leur jeune âge (entre 18 et 25 ans), exhument des chansons populaires des années 60, 70 et 80 ou indiennes d'aujourd'hui.
«Il y a un vrai trou dans l'histoire musicale du pays. Aujourd'hui encore, Ahmad Zaer est toujours considéré comme le chanteur numéro un pour les Afghans alors qu'il est mort et chantait il y a 30 ans», souligne Wajma Mohseni, une des productrices d'Afghan Star.
Toujours autant diffusé à la radio, repris par les jeunes chanteurs et les très populaires orchestres de mariages, Ahmad Zaer est parfois décrit comme l'«Elvis Presley» afghan, excès compris, la poésie orientale en plus. Chaque année, à l'anniversaire de sa mort (1979), des dizaines d'admirateurs viennent encore lui rendre hommage sur sa tombe de Kaboul.
Autre écueil, les chanteurs ont toujours été considérés comme une caste modeste et à part dans le pays, malgré la passion des Afghans pour la musique.
Dans les villages traditionnels afghans, le chanteur était souvent l'homme à tout faire voué aux tâches ingrates, à la fois barbier, cuisiner et chanteur pour les mariages. Une position qui ne faisait guère rêver les foules.
Ce réflexe prévaut encore, selon Daoud Sidiqi, présentateur d'Afghan Star. «Les seules plaintes que j'ai entendues à propos de l'émission venaient des chefs de villages traditionnels, qui regrettaient que cela pousse les jeunes vers une mauvaise profession.»
Dans les années 60 et 70, le développement des radios et l'accueil des maîtres de musique indiens et afghans à la cour du roi Zaher Shah permit aux chanteurs d'étendre leur renommée et à une nouvelle génération d'émerger.
Parmi les leaders de cette nouvelle génération, on trouve l'incontournable Ahmad Zaher, fils d'un ancien premier ministre, polyglotte dont la renommée s'étendit à toute l'Asie du Sud-Est même après sa mort, ou Nashinas.
L'invasion du pays par les Soviétiques fin 1979 ne mit pas fin à cette effervescence. Et si leur politique égalitariste, faite de passages à la radio et à la télévision nationale (apparue à la fin des années 70), n'a guère enrichi les chanteurs, elle a permis l'émergence de nouvelles figures comme Farhad Darya.
L'arrivée au pouvoir des moudjahidines et la sanglante guerre civile qui suivit (1992-96) sonna le temps de l'exil pour les chanteurs afghans, qui émigrèrent majoritairement en Europe, aux États-Unis ou au Canada et y restèrent sous les talibans, qui interdirent la musique, jugée comme une perversion de l'islam.
L'exil eut une contrepartie : il permit à des chanteurs comme Farhad Darya ou Nashinas, réfugiés aux États-Unis, de s'enrichir par leur succès auprès de la diaspora afghane.
Comme un symbole, les premières notes de musique qui brisèrent le silence de la radio afghane après la chute des talibans en novembre 2001 furent celles de la chanson Kaboul bien aimé (Kabul Jan) de Farhad Darya.