Les talibans profitent des failles du pouvoir afghanL'attaque spectaculaire des talibans, lundi 18 janvier, au cœur de Kaboul aura duré plus de six heures. Coordonnée et impliquant une dizaine d'assaillants, elle a coûté la vie à dix insurgés, trois membres des forces de sécurité et deux civils.
Le coup de force constitue un camouflet en terme de sécurité pour la coalition internationale qui tente de mettre en place une nouvelle stratégie soutenue par l'arrivée prochaine de 30000 soldats américains en renforts.
L'attaque illustre aussi la réponse des talibans à la tentative du président Hamid Karzaï de diviser le mouvement taliban en lançant un nouveau programme ambitieux de réconciliation avec les insurgés.
Le modus operandi de l'opération, qui a suscité la panique dans une zone de la capitale afghane en théorie hautement protégée, rappelle celui utilisé à Bombay, en Inde, fin novembre 2008, par un commando islamiste. Des hommes sont envoyés, dans le même temps, sur des sites prédéfinis et sèment le chaos.
En Inde, le bilan, de 174 morts était autrement plus lourd mais, selon l'ONU à Kaboul, "ici, on frôle toujours le pire". Lors de l'attaque, certains insurgés portaient des uniformes militaires et une ambulance de l'armée a servi de véhicule piégé.
Cet assaut pourrait être une réponse sanglante adressée aux autorités afghanes qui, la veille, avaient lancé une nouvelle offre aux troupes du mouvement taliban. Dimanche 17 janvier, Waheed Omer, le porte-parole de la présidence, avait dévoilé les contours d'un programme destiné à rallier les combattants talibans : emplois, éducation, aides financières et retrait des noms de principaux leaders, tel le mollah Omar, le chef du mouvement, de la liste noire du terrorisme fixée par les Nations unies.
"BONS ET MAUVAIS TALIBANS""Des erreurs ont été commises dans les anciens plans de réconciliation, nous allons cette fois-ci beaucoup plus loin", a indiqué M. Omer. Ce dernier a ajouté qu'il n'y aurait plus de "distinction entre les bons et les mauvais talibans", une allusion à l'éventuelle existence de liens avec Al-Qaida. Les "milliards [de dollars] consacrés à la sécurité peuvent être aussi utilisés, en partie, pour la paix, note un conseiller à la présidence. Les plans précédents, selon l'ONU à Kaboul, n'ont permis de rallier, en 2009, que 170 combattants talibans alors que l'OTAN estime à plus de 25000 le nombre d'insurgés sur le territoire afghan.
Lundi, l'un des porte-paroles talibans, dans sa revendication de l'attaque de Kaboul, a fait référence à ce nouveau plan : "Nous sommes prêts à nous battre et personne dans notre mouvement n'est disposé à rentrer dans ce genre de compromis", a déclaré Zabibullah Moudjahid, sans doute un nom d'emprunt.
Les Etats-Unis ont également exprimé leur réticence face à ce plan, notamment sur le retrait de noms de la liste noire du terrorisme. Le secrétaire d'Etat à la Défense, Robert Gates, a assuré, lundi, qu'il "serait très surpris de voir une réconciliation avec le mollah Omar".
L'attaque de lundi est également intervenue au moment où certains ministres prêtaient serment devant le Parlement. La cérémonie a dû être interrompue, symbolisant le vide d'un pouvoir fragilisé par la réélection récente –et contestée– de M. Karzaï, pour cause de fraude.
Les députés avaient, par ailleurs, recusé samedi (pour la deuxième fois en quinze jours) le reste du nouveau gouvernement proposé par le chef de l'Etat. Les députés afghans disposent d'un droit de veto sur la nomination des ministres. Seul le "noyau dur" de l'Etat – finances, économie, intérieur, défense, justice, diplomatie – a été validé à ce jour.
A quelques jours de la conférence de Londres sur l'avenir de l'Afghanistan, le 28 janvier, l'incertitude règne sur la capacité du chef de l'Etat à achever la formation de son gouvernement. Des tensions ne manqueront pas d'apparaître sur la question de la réconciliation entre l'OTAN et M. Karzaï, qui entend imprimer sa marque sur l'avenir de son pays.
Sur le terrain, l'attaque de Kaboul n'est que la plus visible des opérations menées ces dernières semaines notamment dans le sud-est. Elles témoignent de l'évolution des techniques des talibans. "Ils privilégient les attaques simultanées et les intrusions au cœur mêmes des lieux protégés, explique-t-on au siège de l'OTAN, à Kaboul. L'impact symbolique et la peur sont maximaux, même si, militairement, cela reste mineur".
Frédéric Bobin et Jacques Follorou
Article paru dans l'édition du 20.01.10