Le transit de Vénus, vu de New Delhi. | AFP/MANAN VATSYAYANA
"Je la vois !" Il est 12 h 15, mardi 5 juin, sur la plage de Mahina à Tahiti, Douglas Pearson laisse exploser sa joie. L'astronome amateur attend ce moment depuis quarante ans : observer le passage de la planète Vénus devant le Soleil à l'endroit même où le capitaine James Cook l'a fait il y a deux cent quarante-trois ans. "Je suis guide conférencier et, depuis plusieurs décennies, j'évoque le voyage du navigateur anglais James Cook à Tahiti, et c'est une grande émotion que de voir ce qu'il a vu, sur ce site."
Autour de lui, des voyageurs venus spécialement pour l'occasion des Etats-Unis, d'Australie, de Grande-Bretagne et d'Europe se penchent sur leurs télescopes et déplacent leur machine pour suivre tout l'après-midi le glissement de la bille noire que forme Vénus sur le globe massif du soleil. Les pieds enfouis dans le sable noir, ils vivent un moment rare. Le prochain rendez-vous entre les trois astres est prévu en 2117.
Ce phénomène d'alignement du Soleil, de Vénus et de la terre sur le même axe, expliqué par l'astronome et mathématicien Johannes Kepler, revient deux fois par siècle à intervalles de huit ans. Il a eu lieu en 1631, 1639, 1761, 1769, 1874, 1882, 2004. En 1716, Edmumd Halley suggère de mesurer la distance terre-soleil en observant la durée du passage de Vénus en différents points du globe.
PROCHAIN PASSAGE DANS 105 ANS
Désireuse de mettre cette théorie en application, la Royal Society mandate, en 1768, James Cook pour aller scruter l'événement depuis Tahiti, île accostée par Samuel Wallis l'année précédente, et jusque-là inconnue des Européens. James Cook dessinera le 3 juin 1769 les différentes phases du glissement de la planète sur le soleil, mais son carnet de bord fourmille surtout de détails sur sa rencontre avec les habitants de l'île.
Cette année, le fort construit par les marins anglais pour protéger la lunette d'observation et l'horloge nécessaires aux mesures a été reproduit sur la plage appelée pointe Vénus. Des élèves du lycée professionnel voisin y reconstituent des scènes d'échanges entre Tahitiens et les hommes de Cook. "C'est une grande fierté de vivre cela. Le prochain passage sera visible dans 105 ans et les gens se plongeront, comme nous, dans l'histoire. Grâce aux moyens numériques, nous leur laissons une trace de ce que nous avons fait", se félicite le conseiller pédagogique Roland Sanquer.
Célina, 9 ans, se redresse après avoir regardé dans un télescope. "C'est minuscule", s'exclame-t-elle, presque déçue. Avec 6 052 km de rayon, Vénus est sensiblement de la même taille que la terre, mais distante de 108 millions de kilomètres du soleil, elle n'y projette qu'une petite tâche.
Entre deux coups d'œil dans les lunettes, les baigneurs replongent dans la baie de Matavai dominée par les reliefs de l'Orohena. Les élèves de l'école d'Hitimahana proclament un orero, une longue déclamation, expliquant la création de l'univers selon la tradition polynésienne. Ils saluent ainsi Vénus appelée en tahitien Ta'urua horo po'ipo'i, la planète repère du matin. Il est 17 h 25. Douglas relève la tête. Un nuage barre l'horizon. Il ne pourra pas voir Vénus dans le soleil couchant. Mais Douglas jubile. Il a réalisé son rêve.